Un « plan » pour l’eau

Emmanuel Macron a présenté, le 30 mars à Savines-le-Lac (Hautes-Alpes), « 53 mesures pour l’eau » visant à réduire de 10 % les prélèvements d’eau d’ici à 2030 et à améliorer sa qualité. Le président de la République invite l’ensemble des filières économiques à établir, chacune, un « plan de sobriété ».

Le volet agricole

– « Pour les agriculteurs : 30 millions d’euros (M€) supplémentaires par an seront consacrés au soutien des pratiques agricoles économes en eau (émergence de filières peu consommatrices d’eau, irrigation au goutte à goutte, etc.). A partir de 2024. »

– « Chaque grand bassin versant sera doté d’un plan d’adaptation au changement climatique précisant la trajectoire de réduction des prélèvements au regard des projections d’évolution de la ressource en eau et des usages. Dès 2023. »

– « Des objectifs chiffrés de réduction des prélèvements seront définis dans les documents de gestion de l’eau à l’échelle des 1 100 sous-bassins du pays, à savoir les schémas d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE) et les projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE). A l’occasion de leur révision, tous les SAGE intégreront des trajectoires de prélèvement alignées avec les scénarios prospectifs. Dès 2027 ».

– « Il sera progressivement mis fin aux autorisations de prélèvement au-delà de ce qui est soutenable dans les bassins versants dits en déséquilibre. Au fur et à mesure du renouvellement des autorisations (qui s’échelonne jusqu’en 2027). »

– « La récupération des eaux de pluie de toiture des bâtiments agricoles (notamment pour l’abreuvement des animaux) sera largement soutenue en vue de sa généralisation via des aides des agences de l’eau. Dès 2024. »

– « Un fonds d’investissement hydraulique agricole sera abondé à hauteur de 30 M€ par an pour remobiliser et moderniser les ouvrages existants (curages de retenues, entretien de canaux…) et développer de nouveaux projets dans le respect des équilibres des usages et des écosystèmes. Dès 2024. »

– « En phase d’installation de nouveaux agriculteurs sur des aires d’alimentation de captage, les projets s’inscrivant dans une démarche agroécologique, d’agriculture biologique, seront favorisés. Cette ambition sera portée dans le cadre de la concertation du Pacte et de la Loi d’orientation et d’avenir agricoles. 2023. »

– « Dans le cadre des négociations européennes du règlement pour un usage durable des pesticides (SUR), la France adaptera ses usages de produits phytopharmaceutiques au regard des forts enjeux de santé-environnement sur les aires d’alimentation de captages. 2023. »

– « La planification sur produits phytopharmaceutiques (Ecophyto2030) déclinera en France cette même approche relative à la limitation de l’usage des intrants dans les aires d’alimentation des captages. 2023. »

– « Le soutien aux pratiques agricoles à bas niveau d’intrants sur les aires d’alimentation de captage sera renforcé via les agences de l’eau : revalorisation des mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) et aides à la bio revalorisées sur les aires alimentation de captage à hauteur de 50 M€/an ; prolongation de l’expérimentation des paiements pour services environnementaux (PSE) jusqu’à la fin de la programmation PAC à hauteur de 30 M€/an ; aide à l’acquisition foncière par les collectivités à hauteur de 20 M€/an. Dès 2024. »

– « En cas de dépassement des exigences de qualité fixées pour les eaux destinées à la consommation humaine par un pesticide toujours utilisé, des mesures de gestion permettant de juguler le risque seront mises en place automatiquement par le préfet, en complément des mesures du plan de gestion de la sécurité sanitaire des eaux de la collectivité. 2024. »

BC

LES REACTIONS

« Pas d’effort supplémentaire pour les agriculteurs » (FNSEA)

« Les annonces du ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, qui avait fait le choix d’être présent au congrès de la FNSEA (le 30 mars à Angers, Ndlr) pour dévoiler les éléments agricoles du plan eau annoncé le jour même à Savines-le-Lac par le Président de la République, auront marqué la séance de clôture du congrès », écrit la FNSEA dans un communiqué du 31 mars.

« La FNSEA se félicite du regard spécifique porté sur l’agriculture dans le plan eau, le ministre évoquant la stabilisation des prélèvements et l’absence d’effort supplémentaire pour les agriculteurs sur les prélèvements globaux. Il permet d’espérer la préservation de la capacité de production de la « Ferme France » face au changement climatique. »

« La préservation de cette capacité de production alimentaire, et ainsi de la capacité à retrouver une souveraineté alimentaire, passera également par l’amélioration de l’efficience de l’utilisation de l’eau, la recherche de variétés de cultures plus résistantes au stress hydrique ou encore par la mise en œuvre de pratiques plus économes. Elle nécessitera un accompagnement volontariste au regard de l’ampleur des changements à venir. »

« Un plan eau à contre-courant des urgences » (Conf’)

« Emmanuel Macron vient d’annoncer le plan Eau du gouvernement. Derrière des termes et des éléments de langage sur la « sobriété », les propositions de ce plan ne changeront pas grand-chose face aux grands enjeux de la protection de la ressource en eau », réagit la Confédération paysanne dans un communiqué du 30 mars.

« Alors qu’à peine 7 % de la surface agricole utile est irriguée, l’agriculture utilise dans certains territoires jusqu’à 80 % des prélèvements totaux en période estivale. Pourtant, l’agriculture n’est évoquée que tardivement dans ce plan et n’apparaît pas dans le volet sobriété. On ne sait même pas si elle est concernée par l’objectif annoncé de baisse des prélèvements, pourtant indispensable aussi pour l’agriculture. Par contre, ce qui est certain, c’est que le Président exprime la volonté d’étendre la surface irriguée. »

« Pour le stockage, Emmanuel Macron pointe la priorité de la vie des sols pour un rechargement maximal des nappes. Tant mieux ! Mais malheureusement aucune mesure concrète n’est annoncée. Pour le stockage de l’eau dans des ouvrages, les critères fixés par ce plan eau sont le contraire des méga-bassines : partage, fondements scientifiques et conditionnement aux changements de pratiques. Nous espérons ainsi qu’il sera mis fin à tous les projets de stockage qui ne respectent par ces critères. »

« Pour la Confédération paysanne, un vrai plan Eau est un plan qui permet de réduire réellement les prélèvements d’eau de l’agriculture. Pour cela, il faut se poser les bonnes questions : qu’est-ce qu’on irrigue ? Pour quel modèle agricole et alimentaire ? La réponse doit être un modèle agricole qui relocalise l’alimentation, produit une alimentation de qualité et in fine limite ses prélèvements et protège la ressource en eau. »

« Pour cela nous demandons urgemment :

– de prioriser les usages de l’eau en agriculture. Les productions agricoles qui relocalisent l’alimentation et favorisent les emplois en agriculture doivent être prioritaires, en particulier le maraîchage diversifié.

– de plafonner les volumes d’eau accordés par ferme en fonction du nombre d’actifs et des productions. Les plafonds doivent être déterminés au niveau local et en fonction des condition-pédoclimatique et hydrogéologiques du territoire et relativement à des pratiques qui favorisent d’abord les économies d’eau.

– de massivement réorienter les financements relatifs à l’eau en agriculture vers le soutien et le développement de pratiques qui permettent de retenir l’eau dans les sols (couverts végétaux, haies, prairies permanentes, semences paysannes, haies, bandes enherbées…), de protéger l’eau (baisse des intrants chimiques de synthèse) et d’économiser la ressource en eau.

– et bien évidemment de mettre fin aux méga-bassines. »

« La transformation laitière salue les engagements du plan eau »

« Les entreprises de la transformation laitière (Fnil pour le privé, LCA pour la coopération) saluent les engagements du plan Eau proposé par le gouvernement et particulièrement la possibilité de réutilisation des eaux issues des process industriels », indique un communiqué du 30 mars. « Face à l’urgence climatique et aux épisodes de sécheresse de plus en plus longs et fréquents, réduire la consommation d’eau est un enjeu prioritaire. »

« Si les entreprises alimentaires sont engagées dans des démarches d’économie et de préservation de la ressource en eau, elles sont également mobilisées depuis plus de 4 ans pour faire évoluer la réglementation concernant la réutilisation des eaux utilisées dans les process industriels, notamment avec l’Association des entreprises agroalimentaires bretonnes (ABEA). Autoriser les entreprises alimentaires françaises à s’engager dans cette démarche déjà déployée en Europe et dans le monde est une décision de bon sens que les entreprises attendaient de longue date. »

« Cette solution, techniquement opérationnelle, est déjà mise en place et reconnue dans de nombreux pays européens. Elle permet de réduire de façon considérable la consommation en eau potable de la filière alimentaire, en remplaçant une partie des prélèvements d’eau sur le réseau public par de l’eau recyclée, et ceci pour de nombreux usages comme le nettoyage des lignes de production. Plusieurs sites laitiers en Europe réutilisent depuis presque 10 ans les eaux de concentration du lait en substitution de l’eau potable pour des usages tel que des opérations de lavage avec une qualité microbiologique équivalente à celle de l’eau potable. »

« Aujourd’hui, en France, 5 millions de m3 d’eaux issues du lait sont déjà réutilisées. Ce nouveau décret permettrait technique d’économiser 11 millions de m3 supplémentaires chaque année. Les entreprises de la transformation laitière, en tant qu’acteurs responsables, se réjouissent de cette possibilité offerte au monde agricole de réutiliser une partie de la ressource ainsi économisée. »

« La réutilisation de l’eau est un enjeu majeur pour les entreprises privées de la transformation laitière, que ce soit dans un objectif de sobriété et de préservation des ressources naturelles que vis‐à‐vis de nos partenaires de l’amont agricole qui ont besoin de cette ressource pour préserver la souveraineté alimentaire et continuer à nourrir les Français », déclare François‐Xavier Huard, PDG de la Fédération nationale de l’industrie laitière (Fnil).

Pascal Le Brun, président de la Coopération laitière, complète : « Nous nous réjouissons que ce dispositif pour lequel nous sommes mobilisés de longue date figure dans le plan eau du gouvernement. Nous attendons qu’un décret vienne consolider cette proposition sur le plan réglementaire et nous veillerons à ce que les modalités de mise en œuvre s’adaptent aux usages des entreprises. »

« Réformer en profondeur notre système d’élevage » (Greenpeace)

« Alors qu’Emmanuel Macron vient de présenter son plan Eau en cinq axes, dont un consacré à l’agriculture, Greenpeace constate qu’il passe à côté de l’enjeu essentiel pour les années à venir dans ce secteur : celui de réformer en profondeur notre système d’élevage », estime l’ONG dans un communiqué du 30 mars.« Lors de son allocution, E. Macron a bien démontré qu’il était conscient des enjeux liés à l’eau et d’une plus grande sobriété dans nos usages collectifs de cette ressource fondamentale pour la vie sur Terre. Les problématiques de l’accès à l’eau en agriculture ont été évoquées dans ce plan : le Président a bien mentionné la nécessité de changer nos modes de cultures pour préserver les sols, la biodiversité et le climat. Malheureusement, cette prise de conscience n’a pas été traduite en mesures concrètes efficaces. »

« Emmanuel Macron n’a pas du tout mentionné le système d’élevage français, au cœur des enjeux liés à l’eau : il passe ainsi à côté du problème en omettant ce sujet crucial, déplore Sandy Olivar Calvo, chargée de campagne Agriculture à Greenpeace France. L’élevage industriel est non seulement particulièrement gourmand en eau (le maïs représente 60% des surfaces irriguées et sert essentiellement à nourrir nos animaux d’élevage), mais en plus, il fait peser de graves menaces sur la qualité de l’eau. Par exemple, il existe une nette corrélation entre la concentration de nitrates dans les eaux de surface et la densité des élevages, avec pour conséquences l’eutrophisation des milieux aquatiques (prolifération d’algues vertes) et une contamination de l’eau potable (environ 25% de l’exposition alimentaire aux nitrates provient de la consommation de l’eau de boisson). »

« Greenpeace rappelle que toutes les formes d’élevage ne se valent pas : seul un modèle d’élevage écologique, local et autonome peut permettre à notre système alimentaire et agricole d’être plus résilient face aux multiples crises environnementales, sociales, économiques et sanitaires auxquelles ce secteur est confronté. »

« Par ailleurs, dans le contexte actuel particulièrement tendu autour des méga-bassines, Greenpeace rappelle que ces réserves d’eau géantes sont une maladaptation au changement climatique et une énième diversion pseudo-technologique pour éviter de se confronter au vrai sujet : celui de la nécessaire sortie de l’agriculture industrielle au profit de l’agroécologie. Ces méga-bassines, en plus d’aggraver la sécheresse, ne bénéficieront qu’à une petite poignée d’agriculteurs, laissant sur le carreaux la majorité d’entre eux. L’opposition citoyenne et paysanne à ces projets doit être entendue. »

« La présence du ministre de l’Agriculture au congrès de la FNSEA aujourd’hui même pour présenter le volet agricole de ce plan Eau en dit long sur la position du gouvernement : plutôt que de défendre l’intérêt général, Marc Fesneau se place symboliquement du côté des promoteurs de l’agriculture industrielle, et de ceux pour qui les profits de quelques-uns valent plus que le droit à une alimentation saine sur une planète en bonne santé pour tous les autres. »

« Si le gouvernement souhaite une loi d’orientation agricole réussie, il sera incontournable de mettre au cœur des discussions parlementaires la refonte de notre modèle d’élevage. Pour faire face à la crise de l’eau qui se profile, Greenpeace rappelle qu’il est urgent et nécessaire de planifier la sortie de l’élevage industriel, en mettant en place dès maintenant un moratoire sur les fermes usines, et de repenser l’ensemble du système pour favoriser une transition vers des élevages extensifs, autonomes, écologiques et paysans, notamment dans les régions déficitaires. Ainsi, il n’y a pas d’autre choix que de réduire considérablement notre production et notre consommation de viande. Les filières végétales destinées à l’alimentation humaine, incluant les fruits et légumes frais, les céréales et les légumineuses, doivent également être soutenues par les pouvoirs publics. »

A télécharger :

Situation hydrogéologique au 1er avril 2023 (BRGM, 13 avril 2023)

Gestion de la ressource en eau (Inrae, 12 avril 2023)

Retour d’expérience sur la gestion de l’eau lors de la sécheresse 2022 (rapport CGAAER, 12 avril 2023)

 

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