Bernard Andrieu, consultant au sein de Lallemand et éleveur en Normandie, souligne la valeur économique de l’ensilage. Sous leurs bâches, les exploitants stockent plusieurs milliers d’euros, à l’origine de la production laitière de l’année. Cela implique de ne pas laisser de place aux détails et ce, particulièrement dans le contexte climatique. Interview.
Quels sont les enseignements de l’année 2018, une nouvelle fois atypique ?
Bernard Andrieu : Cela fait 4 à 5 années de suite que nous sommes confrontés à des phénomènes météorologiques extraordinaires. En 2018, la sécheresse a été impactante sur certaines zones, sur d’autres, l’événement climatique n’a pas eu les mêmes conséquences. Les éleveurs ont été surpris par l’avancement de la maturité et ont récolté un peu tard, avec des taux de matière sèche (MS) élevés et des grains plus vitreux, moins digestibles et difficiles à éclater. Autre constat, étant donné les conditions très sèches dès l’implantation des maïs au printemps, la minéralisation a été faible avec un peu moins d’azote dans la plante, et une forme d’azote plus soluble liée au dessèchement rapide. Au final, certains maïs se révèlent pauvres en amidon mais riches en sucres et en azote soluble alors que d’autres ont connu un cycle végétatif « accéléré ». Leur récolte un peu tardive a impacté sensiblement la digestibilité de l’amidon.
Quelles sont les conséquences de ces teneurs élevés en azote soluble ?
B.C. : La plante mobilise de l’azote sous forme de nitrates ensuite convertis en protéines au cours de son cycle de développement. En conditions de sécheresse brutale, les nitrates n’ont pas le temps d’être convertis et sont transformés par les bactéries au cours de la fermentation en oxyde nitreux qui au contact de l’air, devient de l’oxyde nitrique, un gaz de couleur orange avec une odeur de Javel. En Allemagne, ces phénomènes se sont révélés parfois très impressionnants et dangereux, le gaz étant mortel après quelques secondes d’inhalation.
Et pour les sucres ?
B.C. : La teneur en sucres est à mettre en parallèle avec la pauvreté en amidon. La plante n’ayant pu opérer la transformation de l’un en l’autre. Lors du phénomène d’acidification du silo, les sucres solubles sont transformés en acide lactique par les bactéries avec à la clé la baisse du pH. En règle générale, ces dernières en consomment une bonne partie (classiquement un maïs en contient autour de 6 %). Certains maïs ensilés en 2018 pouvaient contenir jusqu’à 15 % de sucres solubles. Une fois la baisse du pH opérée, les silos confectionnés avec ces maïs vont toujours en contenir en quantité importante. Ces sucres, non dégradés par les bactéries lactiques, constituent une source d’alimentation pour des levures puis pour d’autres bactéries. Ces maïs peuvent être perçus comme une bombe à retardement et j’invite les éleveurs à la vigilance. L’avancement du front d’attaque, le bâchage pour maintenir la plus grande stabilité anaérobique et éviter les retours en fermentation et les échauffements doivent être surveillés. Là encore, les inoculants utilisés à la récolte permettent de favoriser l’acidification rapide du silo puis d’éviter un développement de la flore pathogène à l’ouverture.
Et de manière plus générale ?
B.C. : Les éleveurs doivent prendre conscience de la valeur économique de l’ensilage. Chaque année, ils sèment un potentiel laitier, par exemple 15 000 l de lait/ha de maïs, et doivent se donner les moyens d’en récolter le maximum. De la graine de maïs à la table d’alimentation, le but est de réduire les pertes. Avec l’agrandissement des exploitations, l’enjeu économique du chantier d’ensilage se révèle marquant. Il faut donc définir des protocoles évitant les improvisations. Cela passe par des choses simples. L’important reste de bien suivre l’évolution de la maturation de la plante. Impossible de fixer la date d’ensilage un mois à l’avance. Il ne faut pas hésiter à entrer dans la parcelle pour observer l’état des grains. C’est uniquement ce facteur qui détermine la date d’opération des ensileuses. Cela permet aussi d’évaluer les risques auxquels l’éleveur va faire face pendant la conservation. Je préconise aux éleveurs d’investir dans des inoculants et une bâche de qualité. Ces coûts doivent être perçus comme des investissements. Ils constituent des assurances “qualité”, assez peu onéreuses comparées au potentiel laitier d’un silo. Le jour de l’ensilage, il faut impérativement tamiser des échantillons pour corriger le serrage des éclateurs ; une pratique rare. C’est particulièrement important si le stade optimal d’ensilage a été dépassé car les grains deviennent difficiles à éclater et que la taille des particules d’amidon sera le seul élément correctif à disposition des éleveurs. N’oublions pas que 65 % de l’énergie du maïs se retrouve dans les grains. Enfin, sitôt la journée d’ensilage terminée il faut bâcher le silo pour limiter les déconvenues à l’ouverture. Enfin, les silos conçus dans des conditions délicates devraient rester fermés environ 2 mois pour une bonne stabilisation. Les évolutions météorologiques impliquent une grande rigueur dans la conduite du maïs et le chantier d’ensilage, l’enjeu se révèle souvent sous-estimé.