En règle générale, le renouvellement des générations s’avère plus difficile en élevage, constate Emmanuel Hyest, président de la Fédération nationale des Safer, dans l’interview qu’ils nous a accordée.
Les prix des terres d’élevage et de grandes cultures continuent-ils à diverger ?
En 2021, le prix moyen des terres et prés libres diminue de 2,3 % pour s’établir à 5 940 €/ha. Le repli est plus marqué dans les zones de grandes cultures (- 5,3 % à 7 270 €/ha) que dans les zones d’élevage bovin (- 1,1 % à 4 570 €/ha). Du coup, l’écart de prix entre ces deux types de territoires, qui avait atteint un niveau record en 2020, se réduit : 59 % contre 66 %. Le prix est quasi stable dans les zones de polyculture-élevage : – 0,3 % à 5 910 €/ha.
Comment analysez-vous cette baisse du prix des terres ?
Ce résultat nous a surpris car le prix du foncier agricole est principalement influencé par les taux d’intérêt d’emprunt d’une part, les résultats économiques des exploitations d’autre part. Or, en 2021, les taux d’intérêt réels (corrigés de l’inflation) sont encore négatifs (- 1,2 %) et le revenu agricole progresse de 15,4 % en moyenne. Nous n’avons pas d’explication unique à apporter à cette baisse des prix. Peut-être pourrait-on invoquer le resserrement des conditions d’accès au crédit décidé par les banques, ou bien l’importance de l’offre de foncier suscitée par les nombreux départs à la retraite. Et ce n’est pas terminé : 60 % des chefs d’exploitation avaient plus de 50 ans en 2020.
Les exploitations d’élevage bovin parviennent-elles à se développer ou simplement se perpétuer alors qu’on ne parle que décapitalisation des cheptels et pénurie de main d’œuvre ?
On peut d’abord rappeler que, sur la période 2010-2020, les exploitations bovines sont celles qui se sont le plus agrandies, selon le dernier recensement général de l’agriculture (1). En règle générale, le renouvellement des générations est plus difficile en élevage – et plus encore en bio – mais il existe une grande diversité de situations : alors qu’un département laitier comme la Mayenne demeure attractif, les élevages allaitants de Saône-et-Loire peinent à se transmettre.
Je voudrais aussi insister sur un point : ce n’est pas la taille d’une entreprise qui fait sa résilience. On atteint de telles valeurs économiques, parfois, notamment en porc, qu’un élevage peut devenir quasi intransmissible. Si l’on cherche à le découper pour installer plusieurs jeunes agriculteurs, on se heurte à l’imbrication de l’actif immobilier et mobilier ainsi qu’à la fiscalité sur les plus-values latentes. On s’inscrit ainsi dans un mouvement à l’anglo-saxonne qui condamne les villages à perdre leurs agriculteurs, après qu’ils ont vu disparaître leurs commerçants.
Plusieurs associés ou salariés sur une exploitation, est-ce forcément moins d’actifs ?
La diminution du nombre d’exploitations n’entraîne heureusement pas une réduction massive de la surface agricole cultivée. Elle peut néanmoins conduire, dans une recherche d’optimisation des revenus et des charges, à cesser l’exploitation des surfaces moins productives ou plus difficilement mécanisables. C’est ainsi qu’on en arrive à l’abandon de l’élevage, à l’installation de panneaux photovoltaïques au sol, voire à l’urbanisation. Si la terre n’est pas partout productive, sa protection est menacée. Nulle part il est écrit que l’alimentation doit précéder l’énergie. Or, nous commençons à avoir de vraies difficultés relationnelles quand un éleveur et un agriculteur méthaniseur sont candidats à une même rétrocession de foncier.
Vous alertez, depuis plusieurs années, sur le « marché parallèle » que constituent les transferts de parts sociales. La loi Sempastous répond-elle à vos attentes ?
On observe une très forte accélération des mutations dans certaines régions, par exemple en Normandie ou dans le nord de la France, mais pas partout, alors que la loi Sempastous entrera pleinement en application au 1er janvier prochain. Les transferts de parts sociales qui n’auront pas été notifiés aux Safer pourront être invalidés. Nous n’hésiterons pas à faire appliquer la loi car il en va de la régulation du marché foncier et de notre modèle agricole, qui privilégie l’installation des jeunes et les agrandissements légitimes plutôt que l’accaparement du foncier.
Propos recueillis par Benoît Contour
(1) En lait : + 28 ha à 106 ha ; en bovins viande : + 20 ha à 85 ha ; en bovins mixtes : + 21 ha à 123 ha.
A télécharger :
Valeur vénale des terres en 2021 (ministère de l’agriculture, juillet 2022)
Contribution des Chambres d’agriculture à la durabilité alimentaire (28 juillet 2022)
+3,55% pour l’indice des fermages 2022 (Journal officiel du 16 juillet 2022)
L’utilisation du territoire en 2020 (ministère de l’agriculture, juin 2022)
L’avenir du modèle agricole européen (Parlement UE, avril 2022)