Plaidoyer pour les grands troupeaux

Pendant plusieurs années, Michel Welter a porté la ferme des 1000 vaches. Aujourd’hui consultant, il nous donne sa vision de l’élevage à travers quatre idées fortes.

ANCIEN ÉLEVEUR, MICHEL WELTER EST DÉSORMAIS CONSULTANT. IL INTERVIENT NOTAMMENT DANS L’ORGANISATION DES ÉLEVAGES LAITIERS.

IDÉE 1 : LE POURQUOI DES GRANDS TROUPEAUX

Comment maintenir l’activité d’élevage, tout en conservant la satisfaction des salariés ? Dans le cas de notre projet, le seul moyen était l’agrandissement. Nous avions voyagé en Allemagne où nous avions rencontré des éleveurs de grands troupeaux qui nous avaient sensibilisés aux effets de seuil. En résumé, autour de 50 vaches, un élevage peut être géré par un couple.
Pour conduire 50 à 100 vaches, il faut être plusieurs associés. Entre 200 et 500 vaches, l’organisation devient difficile car le manque de spécialisation est souvent préjudiciable et la production ne permet pas de dégager suffisamment de revenus pour embaucher durablement des salariés. Au-delà de 500 têtes, on peut mettre en place une organisation d’entreprise, avec une spécialisation des missions et une hiérarchisation des fonctions. Il faut aussi être en capacité de respecter la réglementation du temps de travail et la rémunération des charges. Le principal problème en France, c’est la taille des cheptels et le fait que les éleveurs sont confrontés aux fortes contraintes du métier qui sont un temps de travail et d’astreinte particulièrement long. Les petites structures sont plus sensibles à la conjoncture et ce, particulièrement, dans les régions périphériques dites intermédiaires où la production céréalière est présente.

IDÉE 2 : LE DÉCLIN EUROPÉEN

La taille du cheptel laitier européen diminue inexorablement. Il en est de même pour le niveau de production laitière qui s’érode peu à peu. En France, nous n’échappons pas à cette tendance. Pourtant, à l’échelle mondiale, la consommation en produits laitiers ne cesse de croître. Avec la hausse du niveau de vie, dans des pays émergeants, les consommateurs achètent de plus en plus de produits laitiers. J’interviens, pour ma part, dans des pays comme l’Algérie ou Madagascar où l’on voit que la tentation est grande de ne plus dépendre des importations. Ces états subissent de plein fouet la fl uctuation des cours. Aussi, ils réfléchissent à développer leur production pour se prémunir de la hausse des cours. Leur raisonnement est légitime. Toutefois, à l’échelle de la planète, si l’on se place sur le plan écologique, on peut se demander quel est l’intérêt de développer la production laitière dans les zones arides ou semi-désertiques, ou de monter des élevages hors-sol avec des animaux nourris exclusivement d’aliments déshydratés produits à des centaines voir des milliers de kilomètres de l’exploitation ? Cela n’a pas beaucoup de sens. A contrario, le lait produit en Europe présente d’incomparables avantages environnementaux. Dans l’Hexagone, les fourrages poussent sans trop de difficulté avec un bilan carbone et environnemental plus que satisfaisant. Le bien-être animal est lui aussi respecté. Pour faire face à la demande mondiale, la maîtrise du coût de production de l’ensemble de la filière laitière reste déterminant. S’il y a de la place pour le lait produit à l’herbe, pour les filières qualité, ainsi que pour la filière bio, il y a aussi un réel besoin en lait plus “standard”, issu d’un élevage plus intensif. Et c’est là que l’élargissement des cheptels reste essentiel. En France, nous refusons d’entendre que c’est une voie pour réduire les coûts de production. On remet en cause les économies d’échelles générées par les grands troupeaux alors que d’autres pays les ont intégrées. Autre constat, nous avons un sérieux problème d’évaluation de nos coûts alimentaires. Si celui des concentrés est précis et facile à mesurer, nous avons tendance à sous-estimer le coût des fourrages. Le travail, le matériel, le prix de la terre, tout ceci est négligé et au final, notre approche est faussée et légitime quasi exclusivement les élevages herbagers. Cette approche surévalue l’avantage du pâturage pour des raisons idéologiques et non économiques. Ensuite, si l’on se place sur le plan des émissions de gaz à effets de serre, nous devons également constater qu’une laitière haute productrice émet moins de méthane au litre de lait produit qu’une vache lambda. Tout ceci montre que l’élevage dit “intensif” est loin de ne présenter que des inconvénients !

De manière générale, les calculs économiques ne prennent jamais en compte le coût de la main-d’œuvre. Au final, il est impossible de se comparer aux autres professions et cela ne contribue pas à donner une bonne image de notre profession. Ces erreurs de calcul sont trop souvent validées par la profession agricole, les milieux politiques et jusqu’au ministère de l’agriculture qui me semble sous tutelle du ministère de l’environnement. Ces choix sont de nature idéologique et coûtent cher au monde agricole. Nous avons les capacités d’être une grande puissance alimentaire mais, au final, une grande partie de notre potentiel est sacrifié au profit du tourisme, de l’entretien du paysage. On ne plébiscite que le modèle herbager. Nous sommes en train de louper un virage. Je ne suis pas en train de dire qu’il ne faut que des grands troupeaux mais que leur place doit être renforcée. Par ailleurs, on voit bien que la vision politique est assez court-termiste. La Pac a instauré des jachères depuis les années 90 et là, avec la crise ukrainienne, en 30 secondes, on a autorisé leur culture… Et enfin, qui dit élevage dit fertilisation avec de la matière organique et allongement des rotations. C’est de la vraie agroécologie.

Le lait produit en Europe et notamment en France présente d’incomparables avantages environnementaux.

IDÉE 3 : LA RÉMUNÉRATION PLOMBE L’ATTRACTIVITÉ

Le monde de l’élevage est soumis à énormément de règles. C’est l’un des seuls secteurs dans lequel le chef d’entreprise dispose de peu de flexibilité dans ses choix stratégiques. Inversement, c’est l’un des seuls secteurs où l’on autorise la vente à perte. Je m’explique : lors de la crise laitière, les laiteries ont annoncé des prix d’achat en dessous du coût de production ! C’est assez paradoxal et strictement interdit dans les autres secteurs de l’économie. Par ailleurs, cette insuffisance récurrente des prix plombe durablement la production laitière française. L’attractivité du secteur est aussi pénalisée par la vision de nos concitoyens. En général, le monde agricole est mal perçu. La pulvérisation est devenue presque dangereuse. Les agressions contre les cultivateurs se multiplient et les agresseurs sont souvent des voisins. À la lecture des journaux, à l’écoute des radios ou des chaînes de télévision, il semble qu’en dehors du bio, il n’y ait point de salut. Dès lors que l’on utilise des produits chimiques ou que l’on élève des animaux, tout devient suspect et l’éleveur, comme l’agriculteur est perçu comme un criminel en puissance. La déconnexion entre les citoyens et le monde agricole se poursuit. Certains ne savent même pas que pour produire du lait, une vache doit donner naissance à un veau. Bref, un fossé se creuse entre l’élevage et le grand public. Par ailleurs, l’agrandissement de nos élevages n’est ni plus ni moins qu’une réponse aux bas prix imposés au monde agricole. En 1978, mon père vendait ses vaches de réforme à 17 FRF soit l’équivalent de 2,50 €. En 1983, le lait était payé entre 1,80 et 2 FRF/litre soit environ 30 centimes d’euros. Plus de 40 ans après, nos prix de vente sont identiques ! En parallèle, le Smic a explosé sur cette période, comme la plupart des charges. Le prix du gasoil a été multiplié par huit ! Alors qu’avons-nous fait pour répondre à ce plafonnement inique de nos prix de vente, nous avons dû nous agrandir pour défendre notre revenu ! Le fait de maintenir des prix aussi bas ne peut conduire qu’à l’agrandissement des structures.

La production laitière est le seul secteur économique dans lequel la vente à perte est autorisée.

IDÉE 4 : S’ADAPTER AUX SALARIÉS

Il est important de maintenir des Hommes au sein des élevages ! Comment fera-t-on si l’on met des robots partout ? Une tâche aussi simple que la pose d’une bâche sur un tas d’ensilage nécessite plusieurs personnes. Pourtant, les éleveurs n’embauchent pas ou peu. Trop souvent, ils préfèrent opter pour des robots. Les besoins de main-d’œuvre sont importants au sein de nos exploitations. Nous avons besoin de salariés motivés. Sur le terrain, le monde de l’élevage laitier peine à embaucher. Il ne s’est pas suffisamment interrogé sur le salariat. Il faut accepter qu’un salarié travaille entre 35 et 39 heures par semaine et accorder un repos hebdomadaire de deux jours. C’est une erreur de présumer qu’il aille de soi pour un salarié de s’impliquer autant qu’un associé. Pour optimiser une embauche, l’éleveur doit s’assurer que chaque heure de travail du salarié soit pleinement utilisée. Pour ce faire, il faut définir clairement les besoins et établir des fiches de postes précises. À la ferme des 1000 vaches, nous avions mis en place des protocoles détaillés pour chaque tâche. Tout était clairement écrit et pleinement accessible pour les salariés. Ces derniers pouvaient à tout moment se référer à ces fiches informatives. Nous disposions également de fiches de poste. La gestion d’un grand troupeau implique de tout protocoliser y compris la traite. Il ne faut rien laisser de côté et tout détailler, jusqu’au(x) produit(s) à appliquer en pré et post-trempage. Ce n’est jamais une perte de temps. En se forçant à passer par cette étape, on remet à plat les pratiques et on peut même trouver des améliorations à apporter. Le but est d’expliquer clairement les tâches à ses salariés, leur montrer comment les faire pour qu’ils puissent ensuite se les approprier et les effectuer en autonomie. Cette protocolisation permet aussi de mettre en place des tableaux de bord qui serviront à collecter les informations susceptibles d’optimiser les performances techniques. En notant chaque jour, la production laitière, on peut aussi anticiper les problèmes. Un reporting régulier permet de prendre des décisions sur des éléments objectifs. J’ai constaté sur le terrain, qu’il y avait un besoin important dans les aspects organisationnels. Lorsque l’on échange avec les éleveurs, leur réponse est souvent : je n’ai pas le temps; je ne sais pas faire…C’est pourquoi je leur propose de les accompagner.

Propos recueillis par Erwan Le Duc

Lisez également

Philippe Marquet président de Biolait

Installé dans la Loire, il transforme une partie de sa production en yaourts destinés à la restauration collective.