« Ce n’est pas le moment de jouer perso »

Damien Lacombe, président de la Coopération laitière, souligne que « les outils de séchage tournent à plein », avec des effectifs réduits dans les usines. Un écrêtement de la collecte est, selon lui, indispensable pour éviter une désorganisation de la filière.

Comment les coopératives encaissent-elles le choc du Covid-19 ?

Dans un contexte totalement inédit et, par certains aspects, irrationnel, les coopératives sont hyper engagées et réalisent un travail remarquable pour s’adapter. En trois semaines, des organisations totalement nouvelles se sont mises en place. Les fonctions support sont passées en télétravail, de manière exemplaire partout. Au niveau du ramassage du lait ou en usine, les gestes barrières et les mesures sanitaires répondent à l’angoisse créée par le virus. Il n’empêche que le taux d’absentéisme atteint désormais 15 à 20 % en moyenne, et jusqu’à 30 % en Haute Alsace, où des personnels venus d’autres régions permettent la poursuite de l’activité. Certains de nos salariés sont malades, d’autres restent à la maison pour s’occuper de leurs enfants. Nous demandons pour eux la mise en place de garderies, comme pour les soignants, car la continuation de la filière alimentaire est une priorité du pays.

De quelle manière la filière laitière est-elle impactée par la pandémie ?

La consommation s’est modifiée de manière profonde depuis trois semaines, avec le confinement. La restauration hors foyer s’est effondrée de 60 à 65 % car elle se limite désormais aux hôpitaux et à l’armée. Les achats des ménages ont pris le relais, en privilégiant les produits laitiers de base : beurre, crème, fromages râpés… Leurs ventes ont parfois augmenté de 30 ou 40 %, au détriment des fromages traditionnels ou des spécialités laitières plus sophistiquées. Cette situation est particulièrement difficile à vivre pour certaines petites coopératives qui ont perdu une partie de leurs marchés. A l’export, c’est très compliqué aussi. A la grève des dockers français, en janvier, a succédé l’engorgement des ports chinois qui a bloqué sur place quantité de containeurs. Les deux derniers mois ont été extrêmement perturbés. Il a fallu trouver des stockages pour les produits en souffrance, et faire face à quantité de problèmes techniques annexes : manque d’emballages, permis de conduire de chauffeurs à renouveler, passage aux mines de camions… Tout prend des proportions inhabituelles en ce moment, alors que la collecte atteint son pic printanier. C’est pourquoi nous appelons, avec toute l’interprofession, à une diminution de la production.

Le Cniel vient d’affecter 10 millions d’euros à une baisse indemnisée de la collecte. Cela sera-t-il suffisant ?

Si nous pouvions déjà réduire la collecte de 2 %, cela permettrait d’apporter un peu de flexibilité pour soulager les outils de séchage, qui tournent à plein actuellement. Sinon, des non-collectes seraient à redouter, que nous demanderions à l’Etat d’accompagner. Ce plan interprofessionnel doit être autorisé par Bruxelles. Pour qu’il soit efficace dès avril, il nous faut une réponse dans la semaine. Par ailleurs, tout le monde en Europe demande à la Commission des mesures de gestion : stockage privé, programme volontaire de réduction de la production, etc. Le prix de la poudre de lait a diminué de 25 % en quinze jours, entraînant dans sa chute la valorisation beurre-poudre. A l’inverse, le prix du gouda ou de l’édam a progressé la semaine dernière…

Justement, comment voyez-vous la suite ?

Personne ne peut dire ce que seront les prix à la fin de l’année. La segmentation des marchés, la vente directe – qui est la plus impactée aujourd’hui – sont-elles durablement remises en cause ? Je suis complètement incapable de répondre. Une chose est sûre : ce n’est pas une crise structurelle, mais une crise sanitaire. Tout le monde doit faire des efforts. Ce n’est pas le moment de jouer perso.

Propos recueillis par Benoît Contour

A télécharger : Premiers impacts du Covid-19 sur l’activité des IAA (Ania, 1er avril 2020)

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