Jean-François Vincent, éleveur de moutons et de porcs dans le Cher, est secrétaire national Viande de la Fédération nationale d’agriculture biologique (Fnab). Selon lui, c’est moins la taille d’une exploitation que son intensivité et sa faible main d’œuvre qui peuvent heurter la sensibilité bio.
Peut-on se revendiquer bio quand on est à la tête d’un « grand troupeau » ?
La Fnab ne fixe pas de taille maximale d’exploitation qui serait admissible en bio. Ce qui compte, c’est la dimension sociale. Nous demandons un soutien public limité pour ne pas trop concentrer la production et maintenir du monde dans les fermes. La bio emploie deux fois plus d’actifs par hectare que l’agriculture conventionnelle et il faut que ça continue. La Fnab est majoritairement favorable à un plafonnement des aides à la conversion, mais cette question reste en débat. Faut-il décourager une conversion au seul motif qu’elle est portée par une grande exploitation ? La dégressivité des aides serait certainement la meilleure solution.
Que vous évoquent les mots « intensification » et « industrialisation » ?
Nous ne confondons pas « grosse ferme » et « industrialisation ». La recherche de productivité existe aussi en bio. En revanche, on peut s’interroger sur la capacité de systèmes agricoles très intensifs à respecter le cahier des charges de la bio. En lait, de chèvre surtout, mais aussi de vache, des troupeaux de grande taille qui ne pâturaient plus sont passés en bio sans changer de système et sans que leur organisme certificateur ne s’en émeuve dans un premier temps. Heureusement, ces cas restent l’exception. Nourrir des animaux à l’autochargeuse, comme dans un feedlot américain, même si c’est au grand air, ne correspond ni à la lettre ni à l’esprit de la bio. Nous devons rester en phase avec les attentes des consommateurs et les cahiers des charges qui affirment que les ruminants doivent pâturer.
En bovins, faut-il durcir ou assouplir la réglementation bio ?
Je ne vois pas grand-chose à renforcer. Il faut déjà appliquer parfaitement ce qui existe. Ceci dit, en viande bovine, on peut remarquer que la production de bœufs cadre mieux avec la bio que celle de jeunes bovins en termes de tendreté, de goût, de vitesse de croissance (recours massif aux concentrés) ou de bien-être animal. Les éleveurs bio ne souhaitent pas forcer leurs animaux. C’est pourquoi le gavage des palmipèdes est prohibé en bio.
Craignez-vous que le rythme actuel de conversion déstabilise les filières lait ou viande ?
Nous sommes un peu tiraillés entre l’envie que tout le monde passe en bio et la réalité économique des filières. Il n’est pas souhaitable que beaucoup de marchandises affluent au même moment sur un marché, sinon les prix peuvent se casser la figure. En viande bovine bio, je ne suis pas inquiet. La demande augmente et, en face, il n’y a pas trop de production. En lait de vache, même si beaucoup de conversions sont survenues depuis la crise de 2016, les prix sont restés corrects. Biolait redoute davantage un manque de repreneurs dans les fermes bio qu’un trop-plein de collecte. Dans les plans de filière issus des Etats généraux de l’alimentation, un doublement en cinq ans des volumes de lait et de viande bovine bio est inscrit.
Qu’attendez-vous de la loi Agriculture et alimentation en cours de discussion au Parlement ?
Les agriculteurs bio ont souvent des relations contractuelles avec les enseignes de la distribution. Les uns comme les autres attendent de la future loi que ces partenariats ne puissent pas être remis en cause par la direction de la concurrence (DGCCRF) ou par Bruxelles. En porc, des contrats à dix ans existent déjà. Il faudrait pouvoir progresser dans cette direction en pleine sécurité juridique.
Le versement des aides bio a pris beaucoup de retard ces dernières années. Où en est-on en cette rentrée 2018 ?
Les primes 2015 ont été versées. Les primes 2016 ont fait l’objet d’avances de trésorerie (ATR) mais tous les agriculteurs bio ne les ont pas encore touchées, ce qui crée des situations très pénibles pour certains. Pour 2017 et 2018, rien n’a encore démarré.
Propos recueillis par Benoît Contour