Normande et foin : l’accord parfait

Ce ne sont pas moins de quatre générations de Mercier qui se sont succédé à la tête de la ferme du Champ Secret dans l’Orne. Patrick, rejoint par son fils Maurice en 2017, a fait le pari de la valeur ajoutée. Depuis près de 10 ans, les éleveurs transforment eux-mêmes le lait de leurs 110 Normandes en camembert de haut vol.

Quand vous arrivez au lieu-dit la Novère, au sud de Flers, c’est le magasin de vente que vous découvrez en premier. Libre d’accès, chauffé en hiver, avec des tables, des chaises, du café maintenu au chaud et des petits gâteaux maison pour le client ou le visiteur de passage, le lieu est accueillant. Un réfrigérateur vitré propose les fabrications maison (camembert fermier, crème, beurre). À côté, un tarif et une tirelire pour déposer son argent. La confiance règne et, selon l’éleveur, Patrick Mercier, les choses se sont toujours bien passées.

Une vitre ménagée dans le mur donne sur la fromagerie et permet d’apercevoir les camemberts en cours d’égouttage. La fabrication s’effectue de 6h15 à 12h15, 320 jours par an. Compter cinq louches par camembert. Dans les heures qui suivent, il faut surveiller l’acidité et la consistance des fromages, les retourner au bon moment, et ce jusqu’à 20h00. Quatre personnes s’y emploient, portant à onze le nombre total de personnes travaillant sur l’exploitation. « Le lait est rémunéré 90 centimes par litre », indique l’éleveur. Après transformation, sa valorisation atteindra 2 €/l.

COÛT ALIMENTAIRE : 45 €/1 000 L

Avant d’en arriver là, la Ferme du Champ Secret a connu plusieurs avatars inspirés par une quête de développement durable plutôt que de gain supplémentaire, même si la rentabilité n’a jamais fait défaut, laisse entendre Patrick Mercier. Après son installation, il a produit 320 000 l par an entre 1980 et 1995, avec les méthodes « apprises à l’école ». Mais il avait « l’impression de travailler surtout pour les autres ». La crise de la vache folle, en 1996, a « changé les choses ». La tentation d’arrêter le métier – l’élevage bovin se trouvant implicitement accusé de tromperie – l’a effleuré. Mais la volonté de poursuivre la production laitière a été la plus forte. Le « déclic » est venu à l’occasion d’un voyage aux États-Unis, où les circuits courts et l’agriculture biologique étaient en plein boom. En 2001, il arrête l’ensilage (herbe et maïs) et passe au foin vrac ventilé. Il construit un stockage de 240 tonnes pour 60 vaches laitières (480 tonnes pour 110 Normandes aujourd’hui). Surtout, le coût alimentaire revient à 4,5 centimes par litre, contre 13 centimes en moyenne dans la région, avec des animaux qui pâturent 9 mois dans l’année. « Et quand on a un foin et de l’herbe, 90 % du chemin vers le bio est déjà fait. » La certification arrivera en 2010.

Même si « la ferme tournait très bien », l’effondrement du prix du lait en 2009 convainc l’éleveur, alors âgé de 50 ans, de faire appel à un coach pour l’aider à envisager un avenir plus autonome. Les premiers camemberts sortent en 2012, en dépit d’une « grande crainte » sur le plan commercial. Une opération “ferme ouverte”, le 22 septembre, relayée par la presse locale, puis par FR3, va exaucer les vœux de celui qui voulait que « ça se vende tout seul ». Certes, pour assurer l’équilibre économique de la fromagerie, il faudra porter la fabrication de 500 à 800 camemberts par jour. Aujourd’hui, Patrick Mercier estime la plus-value liée à l’AOP à 4 centimes par litre de lait, celle liée au bio à 15 centimes par litre.

FOIN ET LAIT CRU : LA SAGESSE

Mais c’est avant tout à la vache Normande et au foin séché en grange qu’il attribue la réussite de l’entreprise familiale. La Normande parce qu’elle produit un lait très riche (36 g/l de TP(1) sur la ferme du Champ Secret), quand la fabrication du camembert réclame un minimum de 35 g/l (« en dessous de 33 g/l, c’est compliqué », explique Patrick Mercier). La Normande aussi parce que la force des caséines de son lait va permettre l’égouttage spontané et un rendement fromager accru (+ 3 % en comparaison d’un lait de Holstein, et encore + 2,7 % avec un lait de mélange), ont montré des essais de l’Inra (voir encadré). Au final, la fabrication d’un camembert nécessite « 2,3 l de lait dans l’industrie, quand 1,9 l de lait de Normandes suffit. La race Normande a évolué depuis le 18e siècle pour s’ajuster à la fabrication du camembert, créé en 1791, comme la race Montbéliarde avec le comté. Elle est aussi plus rustique que la Holstein, et pas faite pour être enfermée. »

Le foin séché parce que les problèmes sanitaires associés au lait cru sont moins fréquents, moins graves et plus facilement détectés qu’avec de l’ensilage. « En dix ans de fabrication, nous avons parfois rencontré des problèmes de qualité, mais jamais sanitaires. Nous n’avons jamais détruit aucun produit », assure l’éleveur. Le foin séché encore parce que c’est la solution alimentaire « la plus rentable sur le long terme, même si l’investissement atteint 1 000 €/t. C’est un fourrage riche, équilibré et sans déchet. Au lieu d’apporter 400 g/j de minéraux par vache quand elles étaient nourries avec de l’ensilage, 80 g/j suffisent avec le foin en ration sèche. » L’exploitation compte « très peu de prairies permanentes, dont la production est faible et persiste peu dans la saison, mais surtout des prairies temporaires » (50 ares par vache, contre 25 ares dans le cahier des charges de l’AOP). Patrick Mercier sème de la fétuque élevée et du trèfle blanc qui complètent le dactyle naturellement présent. Au bout de deux ans, une vingtaine d’espèces trouvent leur place. « Le Ray-grass anglais, c’est bien pour pâturer, pas pour sécher. » 

Benoît Contour

 

EN CHIFFRES…

LE GAEC DU CHAMP SECRET (ORNE) 

  • 2 associés (Patrick Mercier et son fils Maurice) et 9 salariés ;
  • une SAU de 180 ha ;
  • 110 vaches et 110 génisses Normandes ;
  • un roto GEA de 24 places.  

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