Le Danemark va réussir à substituer 100 % de son gaz fossile par du biogaz d’origine agricole. Comment ? Les Scandinaves ont misé sur des grands projets collectifs. Dans l’Ouest, la coopérative Herbauges s’en est inspiré pour bâtir un projet pour l’instant à l’arrêt. Son président alerte les pouvoirs publics dans une lettre ouverte.
Avec le projet MéthaHerbauges, la coopérative Herbauges a vu les choses en grand. Les chiffres impressionnent : 371 000 tonnes de lisiers et de fumiers valorisées annuellement (95 % issus de bovins), 127 000 tonnes de biomasse végétale issues de Cipan (1), 210 élevages concernés, une production annuelle de biométhane de 23 600 000 Nm3, une création de 21 emplois directs et un chiffre d’affaires annuel de 25 millions d’euros. La centrale de méthanisation doit se situer sur la commune de Corcoué-sur-Logne, à proximité immédiate du site de la coopérative d’Herbauges. Pour l’instant, le projet soulève un grand nombre de questions de la part du grand public. De leur côté, les politiques locaux, nationaux, et les représentants de l’État semblent frileux et n’apportent pas leur soutien au projet. Aussi le président de la coopérative, Guillaume Voineau, a-t-il décidé de prendre sa plume pour écrire au Président de la République dans une lettre publique.
« Le conflit en Ukraine nous fait prendre conscience d’une double urgence : accélérer pour renforcer notre indépendance énergétique d’une part et garantir notre souveraineté alimentaire de l’autre, écrit-il. Je suis président de la coopérative Herbauges qui regroupe des éleveurs laitiers, des exploitations familiales de Loire-Atlantique et de Vendée (…) Nous sommes ancrés dans un bassin d’élevage depuis 60 ans et cherchons constamment à nous adapter aux enjeux sociétaux, environnementaux et économiques. Dans ce contexte, pour pérenniser nos exploitations et répondre aux enjeux de demain, nous avons engagé une réflexion pour décarboner notre activité d’élevage en produisant du biogaz vert local à partir de nos effluents. Depuis 10 ans, nous cherchons la meilleure formule. Dans un premier temps, nous avons cherché à accompagner nos éleveurs dans des projets individuels ou de petits projets collectifs. La dynamique ne s’est pas enclenchée : trop complexe, trop risquée, trop de charge de travail, et difficile à financer… C’est pourquoi nous nous sommes tournés vers le « grand collectif ». Nous sommes allés au Danemark, pays qui grâce à son modèle va réussir à substituer 100 % de son gaz fossile par du biogaz d’origine agricole. Nous sommes revenus enthousiastes : c’est le modèle le plus abouti en Europe qui correspond à notre projet de territoire. C’est pourquoi nous avons lancé le projet collectif MéthaHerbauges, il y a trois ans, en janvier 2019. Cette future unité située à Corcoué-sur-Logne, à côté du site de notre coopérative, regroupe 200 éleveurs. Elle alimentera une station GNV publique et produira 24 millions de mètres cubes de gaz vert, qui, injectés dans le réseau, permettront de chauffer une ville de 23 000 foyers. Le bilan carbone de l’ensemble du projet permet d’éviter l’émission de 59 000 tonnes de CO2éq par an. C’est la performance d’une forêt de 12 300 ha. Nous produisons un coproduit, le digestat, un engrais naturel que nous utilisons pour nos cultures et qui évite d’importer des engrais fossiles de Russie (…) Nous avons travaillé sur l’acceptation sociétale en réalisant deux concertations dont une à notre demande sous l’égide de la CNDP (commission nationale du débat public). Plus de 20 réunions réalisées dans le plus grand calme, avant la crise ukrainienne, ont rencontré un public, soit en découverte, soit structuré en associations d’opposants. Nous avions le sentiment d’un public capable de manifester le samedi pour le climat et le mardi contre notre projet. Depuis la crise ukrainienne, tout le monde est sensibilisé et prend conscience des enjeux de souveraineté alimentaire, énergétique et de notre dépendance à l’azote russe indispensable à nos productions végétales (blé). Mais le potentiel de réception du port méthanier de Montoir en gaz de schiste américain a fait plus de titres dans la presse que notre projet de substitution au gaz fossile ! Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les élus, les démarches réglementaires, longues et complexes, font que notre dossier est toujours en instruction. À cela s’ajoute la période de réserve électorale, une tradition plus qu’un élément réglementaire, qui a de nouveau décalé de six mois l’enquête publique. Pourtant, nous estimons que ce projet est vital pour notre territoire et nos exploitations, qu’il représente une petite pierre dans un pays en recherche de souveraineté énergétique, soucieux de transformer son modèle agricole vers plus d’agroécologie, de répondre à l’enjeu climatique, et conscient que même la souveraineté alimentaire puisse être menacée dans un pays agricole comme la France. Nous sommes convaincus que nous devons faire des projets collectifs pour répondre à ces enjeux, des projets territoriaux, créateurs d’emplois, non délocalisables, acceptables et acceptés par tous. »
ERWAN LE DUC
(1) Cipan : cultures intermédiaires pièges à nitrates