L’EARL MC2 fait la chasse au gaspi

FILS D’AGRICULTEUR MAIS INITIALEMENT INGÉNIEUR MÉCANICIEN, CLÉMENT COUSSEMENT A CHANGÉ RADICALEMENT DE MODÈLE AGRICOLE.

Fils d’agriculteur, Clément Coussement a commencé sa vie professionnelle comme ingénieur mécanicien. Au terme de sept années passées dans l’industrie, en France et à l’international, il ne s’est plus senti en phase avec ses valeurs, et a préparé un BTS ACSE (1) par correspondance pour finalement s’installer à Villers-sur-Auchy (Oise), à une vingtaine de kilomètres de la ferme familiale (celle-ci sera reprise prochainement par son frère à l’occasion du départ de leur père à la retraite). C’était en septembre 2015, quelques mois après la fin des quotas laitiers, en pleine dégringolade du prix du lait… « La première année a été très mauvaise, avec un résultat négatif de 30 000 € », se souvient l’éleveur picard. Il fallait changer quelque chose à un système d’exploitation coûteux, basé sur du maïs distribué toute l’année et complémenté avec des concentrés (1 500 kg par vache). Le rendement des 70 Holsteins atteignait certes 9 110 litres par an, mais au prix de coûteux problèmes de santé : boiteries et troubles métaboliques.

UNE CURIOSITÉ NATURELLE ET DES RENCONTRES

Fin 2017, Clément croise Vincent, un producteur de lait établi à 8 km de là, qui lui présente son système basé sur l’herbe, nettement moins intensif (18 l/j) mais dont le coût alimentaire ne dépasse pas 80 €/1000 l tout en dégageant un meilleur revenu que le sien (Vincent élève aujourd’hui 110 vaches à 4 000 l, vend du beurre et du fromage). Clément est séduit mais cherche à valider ce modèle en visitant d’autres fermes. En Grande-Bretagne, il découvre une exploitation de 500 vaches à l’herbe et se souvient des propos d’un lord anglais : « ceux qui s’en sortent produisent 5 000 ou 12 000 litres. » En Bretagne, des collègues lui expliquent : « les intrants ne sont jamais rentables. Il faut remettre les vaches au pâturage. » Conclusion : « Je me suis rendu compte que je n’avais pas les moyens de payer les charges opérationnelles, même si je n’étais pas forcément pour la bio ou le tout herbe au départ. » Ce qui emportera la décision, c’est encore une rencontre. Un voisin éleveur laitier, Amaury, cherchait un atelier pour fabriquer du fromage bio avec son frère Jean-Marie, fromager. De son côté, Clément avait un bâtiment disponible. « C’est ce qui m’a convaincu de passer en bio. » La conversion est effective en novembre 2019. L’essentiel du lait est acheté par Sodiaal, qui tolère que Clément cède une petite partie de son lait à Jean-Marie quand celui-ci en a besoin : surtout en début de semaine, pendant la fabrication, la fin de semaine étant plutôt réservée à la vente qui s’effectue à la ferme, en Amap (2) et sur les marchés.

FINI LE CONCENTRÉ 

Aujourd’hui, l’EARL MC2 a « trouvé son équilibre ». Les 91 laitières produisent 5 000 l de lait par an (41 TB (3), 32 TP (4). Le fourrage est 100 % herbe (pâturée à 52 %). La ration est ajustée avec du foin ou de l’enrubanné en été et en automne, avec de l’ensilage d’herbe, du foin et 1 à 2 kg de maïs grain l’hiver. Mais ces 380 kg de concentrés par vache seront « bientôt supprimés », ce qui ramènera le coût alimentaire de 94 €/1000 l (2020/2021) à environ 40 €/1000 l. « J’avais acheté 30 tonnes de maïs grain pour assurer la transition alimentaire des vaches et la croissance des génisses, mais bientôt elles n’en auront plus. » Le Dac (5), flambant neuf encore, est à vendre. « Je n’achète plus de minéraux. J’ai supprimé le contrôle laitier il y a deux ans. » Les frais vétérinaires ont été divisés par deux. « Moins il y a de maïs dans la ration, mieux les vaches se portent. Avant, il me fallait une pharmacie bien garnie. Maintenant, je n’ai plus de médicaments en stock. Une vache à l’herbe, moins poussée, a beaucoup moins de problèmes. » Dans le troupeau, le taux de renouvellement avoisine 20 %. La mortalité des vaches ou des veaux ne dépasse pas 3 %. Clément s’est formé pour inséminer lui-même.

TOUJOURS PLUS D’AUTONOMIE

L’élevage affiche un taux d’autonomie protéique de 88 % (contre 70 % en moyenne nationale). Première étape vers l’indépendance, le passage au pâturage tournant en 2017 a permis de fermer le silo 50 jours au printemps. Les prairies accessibles ont été découpées en parcelles qui respectent l’hétérogénéité du terrain (talus, pentes, types de sols). La surface pâturée (des paddocks d’environ 80 ares) est contrôlée par un fil avant, déplacé à chaque traite (en s’adaptant à la quantité d’herbe disponible), et par un fil arrière déplacé de manière empirique (selon la vitesse de pousse et la proximité du point d’eau suivant). « Mes animaux pâturent une herbe à 10-12 cm à l’herbomètre pour préserver les prairies. Je peux monter un peu plus haut pour constituer des stocks sur pied pour l’été », témoigne l’éleveur. À l’EARL MC2, seul de l’enrubannage est réalisé sur les prairies pâturables, et uniquement en gestion des excès d’herbe pour maintenir un maximum de parcelles dans le circuit de pâturage. « Clément Coussement préfère acheter du foin à l’extérieur pour assurer ses stocks. Il utilise ses prairies de façon à apporter le maximum de protéines aux vaches : c’est-à-dire sous forme de pâturage », explique Paul Loeillot, du réseau Civam, qui organisait une journée portes ouvertes le 13 octobre dernier sur l’EARL MC2. En pratique, l’éleveur s’associe à quatre collègues pour acheter 80 ha d’une prairie multi-espèces (luzerne, trèfle, ray-grass, plantain, fétuques, fléole…) à un céréalier de la région – « en cette année de sécheresse, c’est surtout la luzerne qui a résisté. »

HOLSTEIN x KIWI

Clément reconnaît que ses vaches ont manifesté de la résistance au changement au moment de basculer d’un système à l’autre (la dernière récolte de maïs remonte à 2018). « Elles préféraient attendre qu’on leur distribue du maïs plutôt que de se donner la peine d’aller pâturer. J’ai connu des moments de solitude mais je ne regrette rien », explique-t-il. Comme beaucoup de Prim’Holsteins du troupeau initial rechignaient, l’éleveur a commencé à croiser en Montbéliarde et en Normande pour améliorer la rusticité des membres et la fécondité. Mais les résultats n’ont pas été pleinement au rendez-vous. Aujourd’hui, il insémine en Kiwi (taureau 50 % Holstein néo-zélandais et 50 % Jersiais) et achète des génisses croisées Jersiaises et Rouges Suédoises. « J’ai groupé mes vêlages sur deux périodes (deux tiers au printemps, un tiers en automne) pour rationaliser la reproduction et faire correspondre les besoins des vaches avec la pousse de l’herbe. Les génisses sont à l’herbe dès 2,5 à 3 mois pour s’habituer au pâturage, tout en ayant du lait jusqu’à l’âge de cinq mois et un peu de maïs grain en complément. Les croisements à un quart ou un demi Jersiaise apportent de la précocité et permettent de maintenir un premier vêlage à 24-25 mois. »

L’AUTONOMIE ENERGETIQUE DEMAIN ?

Si le système d’exploitation bâti ces dernières années « ne coûte pas cher », Clément n’en a pourtant pas fini avec la chasse aux charges opérationnelles. Il envisage de se séparer d’un des deux tracteurs. Il réfléchit à passer à la monotraite alors qu’un des deux salariés à mi-temps (berger de reconversion) devrait prochainement s’installer à son compte. Déjà, quand il fait très chaud l’été, il trait plus tard le matin et plus tôt le soir et les vaches restent au frais (relatif) dans la stabulation dans la journée. En dépit de la canicule, la production laitière n’est jamais descendue en dessous de 12 l/j cette année. « L’herbe séchée sur pied n’a pas été catastrophique » mais elle a dû être complétée par deux tiers d’affouragement. À la mi-octobre, la production était remontée à 13,5 l/j. L’éleveur lorgne désormais du côté de l’autonomie énergétique via le photovoltaïque, la récupération de biogaz et le séchage en grange. « Quand j’aurai payé la ferme… »

Benoît Contour

(1) ACSE : Analyse, conduite et stratégie de l’entreprise agricole

(2) Association pour le maintien d’une agriculture paysanne

(3) Distributeur automatique de concentré

(4) Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural

EN BREF…

L’EARL MC2 (Oise) 

  • deux associés, Clément Coussement et Magali Mousnier, et deux salariés à mi-temps
  • 91 vaches laitières (VL) Holsteins et croisées Kiwi
  • 75 ha de prairies (56 ha permanentes et 19 ha récentes), dont 72 ha pâturés et 55 ha accessibles aux VL
  • salle de traite arrière 2×10 postes Westfalia achetée d’occasion en 2017

A télécharger :

Observatoire technico-économique des systèmes bovins laitiers (Civam, décembre 2022)

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