Le revenu agricole est mal parti

La Commission des comptes de l’agriculture de la Nation, réunie le 10 janvier, a donné de premières indications – négatives globalement, plus nuancées en lait – sur les résultats des exploitations en 2019. Elle a également confirmé l’impact très négatif de la sécheresse sur les ressources fourragères – et les revenus des éleveurs bovins – en 2018.

Les Comptes nationaux prévisionnels 2019, élaborés par l’Insee, anticipent une baisse de la production agricole de 2% en valeur, avec un recul des volumes (-1,5%) et des prix (-0,5%), indique le ministère de l’agriculture dans un communiqué du 10 janvier. « La valeur des productions végétales diminuerait, mais les évolutions seraient contrastées selon les produits. La production viticole se replierait, après une récolte 2018 exceptionnelle. Les récoltes de céréales s’accroîtraient nettement, mais les prix seraient en baisse en raison de l’abondance de la récolte mondiale. La valeur des productions animales augmenterait, avec des volumes en baisse mais des prix en hausse, notamment pour les porcins. » Plus précisément, « la production de gros bovins diminue en valeur pour la 4e année consécutive (-2,4%). Les volumes diminuent (-2,1%), les prix varient à peine (-0,3%). La valeur de la production de veaux (-9,2%) diminue en raison du repli des prix (-8,0%) et, dans une moindre mesure, de celui des volumes (-1,3%). Le volume du lait et des produits laitiers baisse légèrement (-0,7%) alors que les prix accélèrent (+4,2%). »

2019 : revenu prévisionnel en baisse de 10,6 %

En 2019 toujours, « les dépenses en intrants des exploitants agricoles augmenteraient légèrement (+0,7%), avec le renchérissement des prix des aliments et des engrais. Après prise en compte des subventions d’exploitation et des impôts à la production, la valeur ajoutée brute au coût des facteurs par actif diminuerait de 5,9%. »

Au final, le résultat net de la branche agricole par actif non salarié – traditionnellement assimilé au « revenu agricole » – chuterait de 10,6% en 2019. A ce stade, l’Insee n’avance pas de données chiffrées pour les principales productions, contrairement à l’année 2018, sur laquelle les statisticiens ont davantage de recul.

2018 : une mauvaise année en bovins

En 2018, le résultat courant avant impôts des exploitations bovins lait a fortement diminué, revenant à 35 616 € en moyenne (-17,7%), soit 22 314 € par actif non salarié (-17,5%). En bovins viande, ces chiffres tombent à 20 869 € (-8,6%) et 16 214 € (-8,2%) respectivement. En bovins mixtes, ils s’établissent à 36 056 € (-15,4%) et 21 748 € (-14,4%) respectivement, montrent les Résultats économiques des exploitations agricoles en 2018.

« En 2018, les élevages spécialisés en bovins lait ont souffert de la sécheresse estivale qui a pesé sur les ressources fourragères, en net recul sur la seconde partie de la campagne après un bon début d’année (…) Dans un contexte de hausse des charges d’approvisionnement (+22% pour les coûts en carburants, +7,7% pour les charges en alimentation du bétail compte tenu de l’insuffisance des ressources fourragères), l’excédent brut d’exploitation (EBE) par actif non salarié a chuté de 10% pour s’établir à 47 700 €. Si les résultats se replient dans toutes les zones d’élevage, la situation est toutefois variable selon les zones, en lien avec le système d’exploitation et la valorisation du lait. Grâce à une valorisation plus fréquente sous signe de qualité et une part importante de commercialisation en circuit court, les exploitations situées en zones de montagne bénéficient d’une meilleure tenue des prix (+2,2% entre 2017 et 2018, contre +0,4% pour les élevages hors zone défavorisée) et connaissent une chute moins forte de leurs résultats. »

En bovins viande, « la sécheresse estivale a obligé les éleveurs à réformer beaucoup plus de vaches qu’en 2017. La hausse des abattages de vaches allaitantes a ainsi entraîné une hausse de 4% de la valeur des ventes sur l’année. Dans le même temps, plusieurs facteurs ont concouru à la baisse des exportations de broutards français en 2018 : diminution des stocks de broutards français en début de campagne 2018 suite à des problèmes de reproduction durant l’hiver précédent ; moindres besoins espagnols en bovins maigres face au ralentissement de la demande turque ; fermeture du marché algérien. La hausse des charges en aliments (+3,2%) et en carburants et lubrifiants (+21,7%) expliquent l’essentiel de l’augmentation des charges d’exploitation (+1,3% par rapport à 2017). Pour les éleveurs de bovins viande, les subventions d’exploitation représentent 35% du total des produits courants en 2018. La sortie progressive des crises sanitaires et la fin des mesures exceptionnelles de soutien entraînent la réduction de près de 3% de ces subventions. Au total, l’EBE par actif non salarié se replie de 4,6% par rapport à 2017, pour s’établir à 36 600 € en moyenne. En 2018, comme les années précédentes, les résultats de cette orientation demeurent parmi les plus faibles. »

LES REACTIONS

Pour les trois principaux syndicats agricoles, les données macroéconomiques et de revenu publiées le 10 janvier devraient inciter le gouvernement à réorienter la politique agricole.

Pour la FNSEA, « ces résultats démontrent que la reprise n’aura été que de courte durée après les années de crise exceptionnelle de 2015 et 2016. Après un simple rattrapage du niveau d’avant la crise, les résultats repartent déjà à la baisse (…) Les filières agricoles et agroalimentaires françaises perdent des parts de marché en France, et dans l’Union européenne. Notre place dans le commerce mondial recule. Il est donc urgent que le Gouvernement français opère des choix stratégiques, tant sur le plan réglementaire qu’en matière d’accompagnement de l’investissement pour améliorer à la fois le revenu des producteurs et leur capacité à répondre aux demandes des consommateurs. »

La Coordination rurale dénonce « l’incapacité des politiques françaises et européennes à garantir un cadre structurel aux agriculteurs pour obtenir des prix stables et rémunérateurs (…) Pour sortir de cette situation qui fait disparaître chaque année des agriculteurs en activité et qui dégrade le revenu de ceux qui résistent, il ne faut donc rien attendre d’une politique nationale : la supercherie et les fausses promesses des EGA sont confirmées par les chiffres publiés ce jour. Ce n’est qu’à travers une politique européenne de prix protégés et supérieurs aux coûts de production que le revenu des producteurs pourra s’améliorer. C’est pour cela que la CR prône une réforme profonde de la Pac basée sur la régulation des productions. »

« Tant que les politiques agricoles, françaises et européennes n’auront pas été modifiées en profondeur, l’agriculture poursuivra sa dérive actuelle : faiblesse des revenus, chute du nombre des paysan·ne·s, baisse de la production », estime la Confédération paysanne. « Les gestionnaires du système qui se maintiennent tant bien que mal au pouvoir tentent de faire illusion en se réfugiant derrière une victimisation délétère. Mais le choix entre leur immobilisme, refusant le nécessaire changement systémique, et la transition vers une agriculture paysanne, qui seule répondra aux défis sociétaux (alimentation de qualité, environnement, climat, emploi), nous est posé. »

L’année écoulée se solde par un « recul de -7,8% de la valeur ajoutée par actif, et de -10,6% du résultat de la branche agricole par actif non-salarié », constate l’Assemblée permanente des Chambres d’agriculture (APCA). Cette « baisse de revenu (…) doit être prise très au sérieux. Dans un contexte actuel d’incertitude et de mutations des pratiques agricoles, les Chambres d’agriculture estiment que l’amélioration du revenu des exploitations doit rester la priorité. Car sans ressources financières adéquates, c’est la capacité des agriculteurs à poursuivre leurs transitions et à faire face aux défis d’aujourd’hui et de demain qui est mise en péril. »

BC

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