Le « recul de l’élevage bovin »

Si les agriculteurs français « ont retrouvé des marges positives par rapport à leurs coûts de production » l’an passé, l’élevage allaitant ne parvient toujours pas à un revenu moyen de 2 smic.

Le rapport annuel de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires (OFPM), rendu public le 22 juin, s’ouvre par un long avant-propos de Philippe Chalmin (université Paris-Dauphine), qui le préside depuis sa création en 2010 et qui passera la main, le 1er septembre prochain, à Sophie Devienne. C’est, pour lui, l’occasion de revenir sur des années 2021 et 2022 tout à fait atypiques, marquées par une progression des revenus mais aussi un « recul de l’élevage ».

« Les marchés agricoles mondiaux, déjà tendus en 2021 avec l’importance des achats chinois et quelques accidents climatiques, comme au Canada pour le blé dur et le colza (et les graines de moutarde…), ont été touchés de plein fouet par le déclenchement de la guerre en Ukraine qui a affecté les céréales (le blé en particulier) et les oléagineux (le tournesol bien sûr mais les marchés des huiles ont surtout été affectés par un embargo indonésien sur les exportations d’huile de palme). L’indice des prix agricoles mondiaux calculé par la FAO a atteint en mars 2022 un niveau record, tant en termes courants qu’en termes réels (en tenant compte de l’inflation), comparable alors aux prix du milieu des années soixante-dix. Un an plus tard, malgré une baisse de 20,5% de l’indice FAO, grâce à de bonnes récoltes et à une certaine « normalisation » des exportations de la Mer Noire, les prix des grandes commodités agricoles demeurent élevés. En moyenne en 2022, le prix du blé tendre a augmenté de 41%, celui du blé dur de 34%, celui du beurre de 57%. À cela il faut ajouter les hausses de prix des céréales fourragères (maïs) et des oléo-protéagineux (soja), ingrédients de base de l’alimentation animale dont les coûts ont augmenté en moyenne de 30 à 40%. »

« Mais la situation internationale n’a pas été la seule responsable des hausses des prix agricoles. En Europe, on a assisté en effet à un fort mouvement de hausses de prix des produits animaux : +32% pour la viande bovine, +15% pour le lait à la production en France, +25% pour le porc… Ceci s’explique en partie par le recul de l’élevage, en particulier bovin, qu’il soit laitier ou allaitant. »

Égalim n’explique pas « l’amélioration de la situation agricole »

En 2022, poursuit Philippe Chalmin, « l’augmentation des prix agricoles a profité aux producteurs qui ont retrouvé des marges positives par rapport à leurs coûts de production, que ce soit pour le lait, les céréales et dans une moindre mesure le porc et les volailles. La principale exception demeure l’élevage bovin qui, malgré la hausse des prix, demeure assez loin de deux smic par UTH. Ces chiffres sont bien entendu des moyennes et ne peuvent cacher la grande hétérogénéité des exploitations agricoles françaises (…) Mais une chose est claire par contre : l’amélioration de la situation agricole n’est en aucune manière liée à un « partage plus favorable de la valeur ajoutée », comme le célèbrent nombre de discours depuis les Égalim. Les hausses de prix sont celles de marchés mondiaux et européens que subissent l’ensemble des acteurs des filières. Certes, l’approche de l’OFPM reste principalement limitée aux canaux de la GMS et ne tient compte ni de la restauration, ni des circuits courts et directs. Mais la crise que connaissent les produits de l’agriculture bio (notamment pour les produits laitiers) montre bien les limites de ces créneaux lorsqu’ils ne restent pas des niches. »

« Dans l’état actuel de la Pac et en tenant compte de ses évolutions probables dans une nouvelle « donne verte » aux contours encore imprécis, il n’y a rien à attendre de Bruxelles en termes de gestion des marchés ni encore moins de stabilisation autour de « prix rémunérateurs ». Paradoxalement pourtant, la diminution de la part agricole des paniers alimentaires devrait permettre de rentrer dans des logiques de contractualisation dont on parle beaucoup, au moins en termes de communication mais qui se réalisent fort peu. »

38 000 € en lait, 25 000 € en allaitant

L’OFPM analyse en détail la formation des prix et des marges dans dix filières agricoles, dont le lait de vache et la viande bovine. « En 2022, la recette lait augmenterait de 20,2%. Le coût de l’aliment augmenterait de 24,6% et celui des autres biens et services de consommation augmenterait de 19,3%. Ainsi, le résultat courant avant impôt augmenterait de 16,1% et représenterait, en 2022, 21% du total des produits. Il s’établirait à 57 030 € pour 271 829 € de produits et à 38 372 € par travailleur familial. »

« En 2022, le produit viande bovine serait en hausse (+32%) pour la seconde année consécutive. Le coût de l’aliment et les charges externes et autres approvisionnements augmenteraient respectivement de 24% et de 23%. Ainsi, le résultat courant avant impôt augmenterait de 20%. Il représenterait ainsi 20% du total des produits et s’établirait à 31 649 € pour 161 567 € de produits. Le résultat courant avant impôt serait de 25 055 € par travailleur familial », calcule encore l’OFPM.

BC

LES REACTIONS

Une année 2022 « en trompe l’œil » (Coordination Rurale)

Dans son rapport, Philippe Chalmin « dresse, avec une certaine liberté, le bilan de 12 années d’efforts pour apporter de la transparence dans l’élaboration des prix », explique un communiqué de la Coordination Rurale (CR). Le syndicat « salue le travail utile et nécessaire de l’OFPM, et notamment la création de l’euro alimentaire mettant en lumière la faible part de l’agriculture dans le panier de la ménagère. Cependant l’action de l’OFPM, de l’aveu même de son président, n’aura finalement entraîné que peu d’évolutions dans les mentalités et dans les rapports de force au moment des négociations commerciales. »

« Si les agriculteurs ont retrouvé des marges positives dans la plupart des filières, à l’exception de l’élevage bovin, ils le doivent à l’augmentation des prix agricoles : « L’amélioration de la situation agricole n’est en aucune manière liée à un partage plus favorable de la valeur ajoutée comme le célèbrent nombre de discours depuis les EGAlim. »

« Déjà 12 ans que l’OFPM publie des rapports destinés à éclairer les acteurs économiques et les pouvoirs publics sur la formation des prix et des marges, et autant d’années que les agriculteurs attendent des décisions propres à améliorer leur situation. Mais y a-t-il quelque chose à attendre de Paris et de Bruxelles ? »

« Pour la CR, il est impératif de revenir à une Pac protectrice et véritablement au service des agriculteurs et des citoyens de l’Union européenne. De même, (re)mettre en place des mécanismes de gestion des volumes de production afin d’assurer des perspectives et des prix rémunérateurs aux agriculteurs est fondamental. »

« Là encore, la CR partage le constat du président de l’OFPM sur le choc que subissent les agriculteurs qui sont passés en quelques années « du stable à l’instable » ; ce que l’on cherche à compenser par « des aides de plus en plus assorties de contraintes et à la légitimité parfois discutable. ». La CR complétera en disant qu’elles sont aussi de plus en plus faibles ! »

« Il est également urgent de stopper la folie dérégulatrice : après le lait et le sucre, c’est l’agriculture bio qui subit une marche forcée destructrice, constat partagé par Philippe Chalmin, pour qui la crise « montre bien les limites de ces créneaux lorsqu’ils ne restent pas des niches. »

« Que l’on ne s’y trompe pas, 2022, avec ses voyants presque « au vert », est une année en trompe l’œil qui ne doit pas faire oublier que le rapport se base sur des fermes de référence, ni les années précédentes où le prix des productions était inférieur aux coûts de production, notamment pour le blé. Elle ne doit pas faire oublier, non plus, que les exploitations agricoles sont hétérogènes et le marché fluctuant. »

« Des marges en hausse mais des incertitudes sur l’avenir » (Chambres d’agriculture)

« L’Observatoire de la formation des prix et des marges vient de publier les résultats issus de son rapport 2023 (analyse des données de l’année 2022). Il s’agit d’une année de rupture, qui voit les marges nettes des exploitations agricoles progresser dans la plupart des filières, malgré l’inflation des coûts de production », écrit Chambres d’agriculture France dans un communiqué.

« Par ailleurs, les produits suivis par l’Observatoire indiquent l’augmentation de la part de la matière première agricole dans les prix au détail. Les Chambres d’agriculture saluent la solidarité affichée des acteurs de l’aval (distributeurs, industriels …) vis-à-vis des agriculteurs face aux hausses des coûts de production : énergie, engrais, alimentation du bétail… Néanmoins, ces bons niveaux de prix ne doivent pas occulter les signaux préoccupants quant à l’avenir de certaines productions, et la difficulté de certaines filières (veaux de boucherie, ovins viande, caprins lait, lait bio…). »

« En élevage tout particulièrement, la décapitalisation du cheptel conduit à des baisses de volumes, à l’instar du lait ou de la viande bovine, qui ajoute de la tension sur les marchés et dans les approvisionnements de l’aval et se traduit par une hausse significative des importations. »

« De façon générale, cette année 2022 marque l’entrée, pour le secteur agricole, et plus largement pour l’ensemble de la chaîne alimentaire, dans une période d’incertitude, marquée par une forte volatilité des prix des matières premières, qu’il s’agisse des intrants ou des denrées agricoles. Ces derniers mois, les prix de nombreuses matières premières agricoles ont ainsi reflué, alors que les agriculteurs ont dû se procurer des intrants à prix élevés, laissant craindre un rapport de prix défavorables. »

« Dans la période actuelle, les agriculteurs ont plus que jamais besoin de visibilité et de planification de la part des pouvoirs publics. Il en va de leur capacité à se projeter dans leur activité agricole, à s’engager dans les transitions nécessaires et à contribuer à la souveraineté alimentaire », écrit Sébastien Windsor, président de Chambres d’agriculture France.

A télécharger :

Bulletin hebdomadaire des filières ruminants (Interbev, 16 août 2023)

Conjoncture des viandes rouges (FranceAgriMer, 4 juillet 2023)

Haro sur le bovin ! (Chambres d’agriculture France, 4 juillet 2023)

La consommation de viande en 2022 (ministère de l’agriculture/FranceAgriMer, juillet 2023)

Les prix agricoles décélèrent (ministère de l’agriculture, 30 juin 2023)

Population bovine au 1er juin 2023 (FranceAgriMer, 27 juin 2023)

Nouveau repli de la production bovine en 2022 (ministère de l’agriculture, 21 juin 2023)

Forte hausse des prix agroalimentaires en 2022 (ministère de l’agriculture, 20 juin 2023)

Tableau de bord hebdomadaire des produits laitiers (FranceAgriMer, 23 juin 2023)

Bulletin hebdomadaire des filières ruminants (Interbev, 21 juin 2023)

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