Des exploitations moins nombreuses mais plus grandes, majoritairement orientées vers les productions végétales, des actifs plus rares et plus âgés : le recensement agricole 2020 s’inscrit dans le prolongement des précédents.
Julien Denormandie, ministre de l’agriculture, a présenté à la presse, le 10 décembre, les premiers résultats du Recensement agricole 2020. Il s’est plu à décrire une « SAU qui n’a pas baissé » depuis le précédent recensement de 2010, mise en valeur par des « exploitations à taille humaine » qui se tournent vers la « qualité », une « agriculture qui continue d’être attractive » avec des installations qui se maintiennent autour de 14 000 par an (même s’il en faudrait plutôt 20 000, selon lui, pour assurer le renouvellement des générations).
Précisément, le nombre d’exploitations agricoles est passé de 490 000 en 2010 à 389 000 en 2020, soit une baisse de 21% en dix ans. La SAU totale atteint 26,73 millions d’hectares (-1%). Les prairies se maintiennent (41,4% de la SAU contre 41,2%) alors que les surfaces en céréales, oléagineux et protéagineux s’érodent (42,8% contre 44%). Le cheptel total revient à 24,63 millions d’UGB (-7%).
Emploi : -11% en dix ans
La SAU moyenne d’une exploitation s’établit à 69 ha (+14 ha ou +25% en dix ans) – seulement 61 ha en bio. La proportion d’exploitations à spécialisation végétale augmente (52% vs 45%), au détriment de celles à spécialisation animale (37% vs 43%) ou de la polyculture-élevage (10% vs 12%). La taille des exploitations bovines passe de 78 ha à 106 ha en lait, de 65 ha à 85 ha en bovins viande, de 102 ha à 123 ha en bovins mixtes.
Les exploitations sous statut individuel se raréfient mais restent majoritaires (58% contre 70%). Le bio décolle (47 091 exploitations, soit 12,1% du total, contre 3,7% en 2010), tandis que les autres signes de qualité ou d’origine (27% contre 23%) et les ventes en circuit court (23% contre 17,5%) confortent leurs positions.
L’emploi agricole total se contracte de 11% en dix ans pour revenir à 659 000 équivalents temps plein. Le nombre de chefs d’exploitation, coexploitants ou associés actifs s’établit à 496 000 (-18%), parmi lesquels 25,4% ont plus de 60 ans (c’était 20% en 2010) et 26,2% sont des femmes (26,7% en 2010).
BC
A télécharger :
Davantage d’installations en 2021 (MSA, 13 déc. 2022)
Recensement agricole 2020 (ministère de l’agriculture, déc. 2021)
La population bovine au 1er décembre 2021 (FranceAgriMer)
Les produits sous signe de qualité (INAO, 21 déc. 2021)
REACTIONS ET COMMENTAIRES
« L’avenir de l’élevage est posé » (FNSEA)
« Les résultats du recensement agricole décennal publiés ce jour par le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation démontrent une chose : le modèle agricole français demeure familial, à taille humaine et fondé sur la qualité ! », relève la FNSEA dans un communiqué.
« Premier enseignement : sur la décennie écoulée, la surface agricole utile demeure stable, avec 50% de la surface du territoire métropolitain cultivée. C’est un élément capital pour reconstruire notre souveraineté alimentaire et conserver le foncier comme moyen de production. La FNSEA s’en félicite et appelle les pouvoirs publics, locaux comme nationaux, à continuer à porter une attention particulière à la protection des terres agricoles. Au-delà de la capacité de production, c’est aussi un outil de vitalité des territoires et de capacité à répondre aux enjeux climatiques. »
« Deuxième enseignement : l’agriculture française demeure ancrée sur un modèle familial, avec une évolution du salariat permanent, qui confirme le modèle particulier de l’agriculture française basé sur de petites et moyennes entreprises à capitaux familiaux. La surface moyenne s’établissant désormais à 69 hectares. En comparaison, la taille des fermes de nos voisins européens comme le Danemark ou le Royaume-Uni se situe en moyenne à, respectivement, 79 et 81 hectares. Aux Etats-Unis, la taille moyenne atteint 332 hectares. »
« Troisième enseignement : notre agriculture poursuit et confirme son orientation vers une production diversifiée et de qualité : 36% des exploitations sont sous signe de qualité (agriculture biologique, labels…), soit un bond de 10 points en 10 ans. Un quart des exploitations commercialisent en circuits courts. Cela démontre que les agriculteurs ont à cœur de s’adapter à l’évolution de la demande des consommateurs. »
« Mais ce recensement met aussi en lumière les défis à relever pour assurer à l’agriculture un avenir sur le territoire français :
– Celui du maintien de l’élevage : les exploitations spécialisées en production de bovins viande et lait, de porcins, d’ovins et de volailles sont fragilisées et l’avenir de l’élevage est posé.
– Celui du renouvellement des générations : 58% des agriculteurs ont plus de 50 ans et 100 000 exploitations ont disparu en 10 ans. »
« Cependant, la stabilité du nombre de chefs d’exploitation de moins de 40 ans est un élément de satisfaction car il démontre l’attractivité du métier pour les jeunes, tout comme la hausse des effectifs dans l’enseignement agricole, car de nombreux postes sont à pourvoir. »
« Un signal d’alarme inquiétant » (JA)
« Les premiers chiffres issus du recensement agricole 2020 mettent à jour les indicateurs de la chute démographique agricole que la France connait et qui va s’accélérer », écrit Jeunes Agriculteurs (JA) dans un communiqué du 10 décembre. Le syndicat relève « plusieurs constats inquiétants : la France a perdu 100 000 exploitations en 10 ans (de 490 000 à 389 000) et quasi autant de chefs d’exploitations. De plus, 58% des chefs d’exploitations ont plus de 50 ans et la majorité d’entre eux auront l’âge d’ouvrir leur droit à la retraite d’ici la fin de la décennie : un chiffre en augmentation de 6 points depuis 2010. »
« Du fait d’une baisse relative de la SAU, il en découle une augmentation de la surface moyenne, signe d’une concentration des exploitations dans certains territoires et filières. Un phénomène que nous considérons comme un frein à l’installation des jeunes. Le ministère constate lui-même que ce vieillissement de la population agricole nécessite une politique volontariste pour le renouvellement des générations. Julien Denormandie a par ailleurs insisté sur la nécessité de développer les installations pour passer de 14 000 à 20 000 par an, une agriculture rémunératrice, donc plus attractive et un système assurantiel protégeant contre les aléas climatiques. »
« Soulignons toutefois que certaines données sont plus rassurantes, comme une stabilité de la part des jeunes (20%), une professionnalisation accrue (55% ayant le baccalauréat ou plus : + 17 points) ou un modèle familial à taille humaine qui reste globalement majoritaire comparé aux autres pays. Il faudra par ailleurs trouver les solutions pour installer davantage de femmes à l’avenir. »
« Des avancées ont pu être obtenues ces dernières années. Mais les chiffres présentés (le 10 décembre) sont un signal d’alarme inquiétant qui doit faire réagir à quelques mois de l’élection présidentielle : il faut des politiques publiques renforcées pour attirer des jeunes entrepreneurs et remplacer les dizaines de milliers d’agriculteurs qui vont quitter le métier, qui seront bien plus de 20 000 par an. »
« C’est la raison pour laquelle Jeunes Agriculteurs dévoile ses cinq grandes propositions aux équipes de campagne sur la promotion des métiers, la formation, l’installation, la transmission et le foncier. Il en va de notre souveraineté alimentaire, la qualité de notre alimentation, la transition écologique et la vie de nos territoires. Ces propositions ont déjà suscité l’intérêt de certains. Mais étant l’affaire de toutes les sensibilités, JA continuera à se rendre disponible pour travailler sur ces enjeux. »
« Un plan de licenciement qui ne dit pas son nom » (Confédération paysanne)
« Nous retenons un chiffre effarant : 100 000 fermes ont disparu en 10 ans. Soit la disparition d’un cinquième de la profession. Ce plan de licenciement silencieux et massif dans nos campagnes est plus qu’alarmant sur le plan social, territorial et écologique. Nous avons besoin de paysannes et paysans nombreux pour des campagnes vivantes », alerte la Confédération paysanne dans un communiqué.
« Le ministère de l’Agriculture ne s’attarde à aucun moment sur ce constat principal et préfère promouvoir ses politiques libérales actuelles qui accompagnent les tendances d’agrandissement des structures, de céréalisation dans les territoires et de désertification des zones rurales. Ce constat devrait pourtant amener à une réorientation en profondeur des politiques publiques pour soutenir l’emploi paysan.
« Et en premier lieu la Pac, dont les orientations pour la période 2023-2027 sont justement en cours de finalisation. Les soutiens de la Pac doivent être massivement réorientés vers les actifs plutôt que vers les surfaces. La discussion en cours de finalisation au ministère sur la définition de l’agriculteur actif part mal et pourrait être insuffisante pour agir en faveur de l’emploi paysan. Les aides doivent être réservées aux réels actifs et stoppées au moment de l’âge légal de départ à la retraite à taux plein, sauf dans le cas où la transmission est en cours et nécessite encore un peu de temps. Ce temps mis à profit pour installer doit être encouragé par les politiques publiques et soutenu par des moyens financiers de l’Etat. »
« Stoppons l’hémorragie » (Modef)
« Selon le recensement agricole, la France a perdu 100 000 exploitations agricoles en 10 ans et 108 000 chefs d’exploitation, coexploitants et associés actifs », réagit le Modef dans un communiqué. « Aujourd’hui, un exploitant sur quatre a plus de 60 ans et 58 % des chefs d’exploitations et co-exploitants ont 50 ans, un chiffre en augmentation de 6 points depuis 2010. »
« Les chiffres présentés par le ministère de l’Agriculture sont catastrophiques. L’installation de jeunes et nouveaux agriculteurs devient un enjeu prioritaire, sachant que, dans 5 ans, 270 000 agriculteurs vont partir à la retraite. Des outils d’accompagnement à la transmission doivent être proposés aux agriculteurs plusieurs années avant leur départ en retraite, d’autant plus lorsque le système d’exploitation demeure viable. »
« On compte aujourd’hui une installation pour deux à trois départs à la retraite. Ce nombre faible d’installations n’est pas lié au nombre de jeunes qui s’intéressent au métier mais à la faiblesse des revenus qui ne permettent pas de vivre décemment de ce métier ! »
« L’élevage est le plus impacté » (APCA)
« L’agriculture est toujours ancrée dans le territoire : elle occupe aujourd’hui 50% du territoire national, c’est le même ratio qu’en 2010 », constatent les Chambres d’agriculture (APCA) dans un communiqué du 13 décembre. « Il faut saluer la dynamique de l’installation : pour 3 départs, on compte 2 installations, contre une seule en 2010. Le renouvellement à l’identique des générations n’est pas encore atteint mais la situation s’améliore. »
« Maintenir le nombre d’actifs en assurant leur installation et développer la transmission des exploitations avec des projets performants et durables constitue une des priorités du projet stratégique des Chambres d’agriculture. Cependant, il faut reconnaître que l’agriculture française est toujours dans une phase d’érosion démographique : on compte 389 000 exploitations en 2020 contre 490 000 en 2010. L’élevage est le plus impacté par cette recomposition de l’agriculture française : on compte 37,3% exploitations à spécialisation animale en 2020 contre 42,7% en 2010. »
« Mais les agriculteurs savent mettre en place des stratégies de développement porteuses d’avenir. Le recensement de 2020 montre une montée en gamme de l’agriculture française : d’abord les exploitants sont mieux formés (27% des exploitants ont un diplôme supérieur en 2020 contre 17% en 2010), ensuite, il y a plus d’exploitations produisant sous signe de qualité (une sur quatre), plus d’exploitations certifiées bio (12,1% des exploitations en 2020 contre 3,7% en 2010), plus d’exploitations qui ont investi dans la commercialisation de leurs produits en circuits courts. »
« Cette évolution de la production sous signe de qualité et en circuits courts montre la capacité de l’agriculture à répondre aux attentes des consommateurs et à fournir une alimentation créatrice de valeurs sur le marché national et à l’exportation. L’essor du réseau Bienvenue à la Ferme est emblématique de cette évolution et les Chambres d’agriculture sont plus que jamais mobilisées pour accompagner l’agriculture dans ses transitions économiques, sociétales et climatiques. »
A télécharger : Graph’agri 2021 (ministère de l’agriculture)