Le Limousin se lance dans l’engraissement collectif de ses broutards

Un montage financier original et un contrat de reprise passé avec un industriel de la viande ont permis à la Ferme de Saint Martial de voir le jour en Creuse. « Une première en France », témoigne Gilbert Mazaud, son vice-président.  

Dénoncée comme la « ferme des 1000 veaux » par ses détracteurs, la Ferme de Saint Martial a accueilli ses premiers broutards en juin 2016. Ils sont très majoritairement collectés dans un rayon de 40 km auprès d’une cinquantaine de fermes où vivent 80 éleveurs et éleveuses. Dans cette région de moyenne montagne, à la frontière de la Creuse et de la Corrèze, où la prairie le dispute à la forêt, les ressources fourragères sont maigres. Juste de quoi alimenter les mères et leurs veaux, pas de les finir. La pousse de l’herbe ne dépasse pas 4 à 6 mois, selon la pluviométrie de l’année. De longue date, l’habitude est donc à l’exportation des broutards vers l’Italie (où ils seront engraissés dans la plaine du Pô principalement), et dans une moindre mesure vers l’Espagne. Autrement dit, une part de la valeur ajoutée échappe à l’économie locale.

Les bâtiments sont loués

Pour échapper à cette fatalité, une poignée d’éleveurs, aujourd’hui aux commandes de la SAS Alliance Millevaches (1) – la structure juridique qui porte la Ferme de Saint Martial – a imaginé en 2009 le projet d’un site collectif d’engraissement. Deux éléments vont provoquer le passage à l’acte, se souvient Gilbert Mazaud : d’une part la fièvre catarrhale ovine (FCO) qui a perturbé les mouvements d’animaux vers l’Italie, d’autre part la perspective d’un contrat de fourniture d’électricité photovoltaïque potentiellement intéressant. Las, le moratoire de trois mois sur tout nouvel agrément, décrété par le gouvernement en décembre 2010, ainsi que les baisses successives de tarifs de rachat par EDF, vont mettre à mal le montage financier initialement prévu. Pour réunir les 1,3 million d’euros nécessaires, la SAS va faire feu de tout bois. Dans le cadre du plan local de redynamisation de La Courtine, commune voisine où 80 emplois militaires ont été supprimés, 400.000 euros sont alloués au projet. L’investissement photovoltaïque (6.500 m2 de toiture permettant d’approvisionner 900 foyers alentour) est soutenu à hauteur de 300.000 euros. S’y ajoute une dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) de 149.000 euros. Enfin, le Conseil départemental de la Creuse s’engage sur 75.000 euros. Les éleveurs clients de la ferme de Saint Martial, actionnaires de la SAS, doivent progressivement souscrire 3.000 euros de capital social chacun. Tous se réunissent au mois de mars en assemblée générale. Enfin, et peut-être surtout, la SAS n’est pas propriétaire des bâtiments, laissée à la Communauté de communes des sources de la Creuse, qui s’est fondue, au 1er janvier 2017, dans Haute Corrèze Communauté. En contrepartie, la ferme de Martial lui verse un loyer annuel de 28.000 euros.

Le terrassement et la construction, sur une réserve foncière mise à disposition par la commune de Saint-Martial-le-Vieux, ont commencé en 2013-2014. Ont surgi de terre deux bâtiments de 160 mètres de long, capables chacun d’accueillir, sur paille, 400 broutards logés par lots de 12 animaux dans des cases de 55 m2. « C’est ce qui se fait de mieux en termes de logement des animaux », assure Gilbert Mazaud, qui salue l’implication des chambres d’agriculture de la Creuse et de la Corrèze dans la conception des bâtiments. En ce printemps 2017, seul un des deux bâtiments est utilisé pour l’engraissement d’environ 400 broutards (200 charolais et autant de limousins), dans l’attente que l’autorisation d’exploiter soit portée à 800 animaux.

Une ration convaincante

Deux autres bâtiments, plus petits, abritent les animaux nouvellement arrivés. A l’issue d’une première pesée, ils sont maintenus en quarantaine pendant 3 à 4 semaines, le temps de les observer, de les vacciner contre les maladies respiratoires et parasitaires et de leur ménager une transition alimentaire. Ils rejoignent ensuite les bâtiments principaux, où ils seront nourris avec de la paille, du blé et du maïs aplatis, des tourteaux de colza et de la pulpe de betterave. Une ration jugée pertinente au vu des croissances enregistrées par les premiers broutards engraissés à la ferme de Saint Martial, « plutôt meilleures que prévu ». Entrés à un poids vif d’environ 350 kg, ils sont sortis, à l’automne 2016, à l’âge de 15 à 16 mois à des poids carcasse compris entre 400 et 450 kg. C’est ce que demande la SVA Jean Rozé, filiale d’Intermarché, qui a contractualisé sur six ans pour l’ensemble de la production de de la ferme, abattue à Vitré (Ille-et-Vilaine). Une formule tarifaire, indexée sur le prix du maigre et sur celui de l’alimentation, a permis de rémunérer les animaux déjà commercialisés à un prix moyen de 3,96 €/kg carcasse, indique Gilbert Mazaud. Soit environ 0,26 €/kg de plus que les prix pratiqués dans la campagne.

Les animaux engraissés sont choisis dans leur élevage de naissance par le directeur (et seul salarié pour le moment) de la Ferme de Saint Martial, Baptiste Cheix. Chaque ferme actionnaire du centre d’engraissement devrait lui  livrer une vingtaine de broutards dans l’année. Soit au total un millier d’animaux, chiffre qui correspond à l’occupation de 800 places pour un taux de rotation de 1,3 sur l’année – « un minimum pour que ça passe » sur le plan économique, reconnaît Gilbert Mazaud. De leur côté, « les éleveurs n’attendent que ça, pouvoir en mettre plus », ajoute-t-il, énumérant les avantages de la formule : une rémunération correcte, un débouché sécurisé et, à terme, une remontée d’informations sur les performances des animaux engraissés bien utile pour la sélection des taureaux et des vaches nourrices. Autre projet en cours : un contrat de production de génisses à l’herbe, toujours avec la SVA.

Incendie criminel

Dans la période récente, l’urgence a été de surmonter l’incendie criminel survenu dans la nuit du 22 au 23 décembre derniers. Le bâtiment abritant les matériels agricoles (2 tracteurs, 1 mélangeuse, 1 télescopique, 1 pailleuse) et le stock de paille a été détruit, emportant au passage une partie des panneaux photovoltaïques. Le total des dégâts est évalué à 800.000 euros. Les bâtiments d’élevage n’ont pas été endommagés. Quand même, les animaux présents ont été choqués et incommodés par la fumée. L’activité a pu se poursuivre à peu près normalement grâce à un camion de paille livré dans la journée et à la mise à disposition de matériels par les concessionnaires locaux. « Groupama nous a bien accompagnés, y compris sur le plan juridique », ajoute Gilbert Mazaud. L’enquête se poursuit pour identifier le(s) auteur(s) de cet incendie. Cette « violence » a ému le Premier ministre, Bernard Cazeneuve, qui s’est rendu sur place le 10 février afin d’« exprimer (son) soutien moral et financier » (2). Il a ainsi annoncé l’aval de son gouvernement à un plan de réhabilitation et de modernisation de la ferme de Saint Martial qui permettra d’entreprendre plusieurs travaux complémentaires : le bitumage de certains sols autour des bâtiments, la couverture des couloirs de contention, la construction d’un bâtiment de stockage de la paille et d’un bureau, l’installation d’un système de sécurité anti-intrusion (caméras).

Le terrassement préalable à la construction d’un méthaniseur, à proximité immédiate de la ferme de Saint Martial, a commencé. Le contrat négocié avec la société Métha Energie 23 pour la fourniture de fumiers permettra de couvrir l’ensemble des besoins en paille de litière. Dans l’attente, ils sont repris par les agriculteurs des alentours, dans le cadre de plans d’épandage des plus contraignants sur le plan administratif, soupire Gilbert Mazaud.

Benoît Contour

(1) Michel Lacrocq, président de la SAS Alliance Millevaches, Gilbert Mazaud, vice-président, Jean-Louis Plazanet, vice-président, Pierre Chevalier, administrateur et ancien président de la FNB, Jean Monteil, administrateur, Bernard Giat, président de Métha Energie 23.

(2) voir Grands Troupeaux magazine n° 50

NB. Reportage initialement publié en 2017 dans Grands Troupeaux magazine

Lisez également

Un élevage normand taillé pour l’avenir

En Mayenne, le Gaec des Clairventes a bâti un complexe laitier doté de trois robots pour traire 155 Normandes et produire 1,685 million de litres. En 1992, l’élevage produisait 58 000 litres. Retour sur une success story familiale.