L’Organisation des producteurs de lait (OPL) a débattu, le 4 avril à Bagnoles-de-l’Orne, de l’installation des jeunes éleveurs et de la transmission des exploitations. Pour la branche spécialisée de la Coordination rurale (CR), la réponse tient « surtout » dans l’obtention de « prix rémunérateurs ».
En ouverture de ce 12e colloque de l’OPL, Véronique Le Floc’h, éleveuse bio dans le Finistère et responsable lait de la CR (notre photo), a décrit la trajectoire de la production laitière française. Le nombre d’élevages est revenu de 50 000 à 44 000 entre 2010 et 2016. Dans le même temps, la référence laitière est passée de 328 000 à 391 000 litres et la SAU moyenne de 85,9 à 92,5 ha. Si l’on prolonge ces tendances à l’horizon 2025, 11 000 élevages laitiers et 20 000 non-salariés agricoles pourraient à nouveau disparaître – « 50% des producteurs de lait ont plus de 50 ans » – et la référence moyenne atteindre 500 000 l. Autrement dit, 4 milliards de litres et 1 million d’hectares vont se libérer. Question : seront-ils repris, et dans quelles conditions ?
Côté débouchés, pas de problème, assure Véronique Le Floc’h : « l’industrie laitière française se porte bien, voire très bien. Elle a porté 73 projets d’investissements entre 2012 et 2014. Et ça continue, surtout dans les ingrédients secs. Si l’industrie y croit, nous devons y croire. On ne peut pas lui laisser prendre de l’avance au détriment de nos jeunes. » La secrétaire générale de la CR observe que la transformation laitière française valorise le lait aux alentours de 1 200 €/1000 l, bien au-delà de ses concurrentes européennes (1 000 € aux Pays-Bas, 750 € au Danemark, 700 € en Allemagne). Mieux encore, cette valorisation aurait progressé de 200 € au cours des sept dernières années. La transformation ne peut-elle pas payer ses apporteurs de lait un peu plus cher, ont demandé plusieurs des quelques dizaines d’éleveurs et d’éleveuses présents dans la salle ?
« Le prix du lait ne permet pas d’embaucher »
Au-delà des chiffres, Véronique Le Floc’h souligne un « écart grandissant entre l’offre et la demande d’exploitations laitières », qui se lit aussi dans les chiffres de la main d’œuvre. D’ici à 2025, le nombre de salariés permanents dans les fermes laitières françaises, bien qu’en progression (+ 800 à 7 600 environ), ne permettra pas de faire face aux besoins dans la mesure où, agrandissements obligent (la France compterait alors « beaucoup d’exploitations de plus de 250 vaches laitières »), entre 1 300 et 1 400 exploitations supplémentaires devront faire appel à de la main d’œuvre permanente (un tiers des exploitations emploieront alors des salariés, contre 15% en 2010). « Le prix du lait ne permet pas d’embaucher », explique la présidente de l’OPL. Le responsable de la CR en Ille-et-Vilaine, Joseph Martin, renchérit en expliquant que le prix de revient de 396 €/1000 calculé par l’interprofession laitière (Cniel) vaut en fait pour l’année 2016. Ce serait « plutôt 407-408 €/1000 l pour 2018 et 422 €/1000 l en moyenne sur cinq ans ». A l’inverse, Rémi Lescène (Savencia) considère les 396 €/1000 l comme « une vue de l’esprit pour le moment », tout en rappelant que son groupe contractualise « 100 % de ses approvisionnements depuis le départ » et est « parvenu » à indexer le prix du lait sur les coûts de production. Il entrouvre toutefois la porte en assurant que « les Etats généraux de l’alimentation sont en train de produire des effets qui se feront sentir dans les mois à venir. »
Pour le responsable de la section Jeunes de la CR, Joris Miachon, les métiers de l’élevage souffrent d’un manque d’« attractivité » et de « vivabilité » : surcharge de travail, départs d’associés pas anticipés… Un constat partagé par Yvette Lainé, présidente de la CR Normandie : « l’élevage n’attire plus. Nous cherchons à recruter 20 CDI dans l’Orne, sans succès. » L’industrie agroalimentaire n’échappe pas au phénomène, témoigne Rémi Lescène (Savencia) en évoquant un « problème d’attractivité du travail et d’image : trouver de la main d’œuvre qualifiée compétente un sujet majeur ».
« Anticiper la transmission et s’entourer de professionnels »
Afin d’assurer le renouvellement des générations en élevage bovin, la CR formule trois propositions principales : revaloriser la dotation jeune agriculteur (DJA), la simplifier – Joris Miachon en parle comme d’un « parcours du combattant » – et supprimer le critère d’âge ; cautionner les prêts à l’installation ; enfin et « surtout : des prix rémunérateurs, liés inévitablement à une régulation des productions. C’est la condition sine qua non pour s’installer, investir, transmettre… » L’arboriculteur de la Drôme constate également que l’accroissement de la taille des exploitations les rend « compliquées à reprendre ou fait peur. Il existe un écart important entre le coût patrimonial et le coût de reprenabilité car les exploitations sont de moins en moins rentables et les banques de plus en plus frileuses. » Raison de plus pour « anticiper une transmission d’exploitation plusieurs mois voire plusieurs années à l’avance et s’entourer de professionnels », conseille Cécile Sibout, experte-comptable au cabinet Fiteco (Changé, Mayenne).
BC
A télécharger : Installation-transmission de l’exploitation agricole (Ordre des experts-comptables)