L’art de l’adaptation

Éleveur bio dans les Ardennes, Bruno Faucheron s’appuie sur l’herbe pour nourrir 100 (+/- 20) vaches selon la valeur et le volume des fourrages de l’année.

Installé en 1996 sur la ferme familiale de Cheveuges, près de Sedan, Bruno Faucheron a travaillé avec sa mère jusqu’à ce que cette dernière prenne sa retraite, en 2016. Le Gaec est alors devenu EARL, voyant au passage les cotisations sociales passer de 5 000 à 25 000 € par an tandis que diminuaient les aides Pac… Trouver un salarié ou un apprenti pour l’épauler n’a pas été simple. Quatre candidats se sont succédé sans totalement convaincre. Puis, début 2020, est arrivée Camille Haulin, qui paraît investie dans son travail comme une quasi associée. Cela tombe bien car il lui faut pallier les absences fréquentes du patron, qui cumule de nombreuses responsabilités professionnelles : président du GDS(1) des Ardennes, élu à la Chambre d’agriculture comme à celle du Grand Est, référent national bien-être animal pour Chambres d’agriculture France, co-président du projet ARPEEGE (voir encadré) sur l’autonomie des troupeaux, qui promeut la culture des plantes riches en protéines, à commencer par l’herbe et les légumineuses.

Quatre coupes en 2023

L’EARL de Cheveuges connaît bien les légumineuses. L’exploitation s’est équipée en conséquence d’une autochargeuse et d’une mélangeuse pour affourager les animaux quand ils ne pâturent pas. Les vaches sortent en général au 1er avril, quand la portance des prairies permanentes (72 ha en fond de vallée) le permet. Sur les 63 ha labourables, l’assolement type privilégie trois années de prairies temporaires suivies d’un blé et d’une orge. Par exemple une luzerne, fauchée tous les 45 jours, dont l’azote restitué au sol profitera à la céréale à suivre (50 q/ha espérés en blé bio, grâce aussi à 20 t/ha de lisier). La première coupe est valorisée en foin (après préfanage), la deuxième en ensilage. En 2023, la météo favorable a permis « quatre coupes quasiment partout », se réjouit Bruno Faucheron. Le rendement de l’herbe s’établit en moyenne à 10 tMS/ha. Il a atteint 12 à 13 tMS/ha en 2023, après avoir plongé à 6,5 tMS/ha en 2022. Cette année-là, une seule coupe avait été possible. L’éleveur avait dû acheter pour 40 000 € d’aliment du commerce, de foin et de luzerne, tandis qu’une moindre production laitière occasionnait un manque à gagner de 50 000 €…

La luzerne, plante antisécheresse

Dans le cadre du projet ARPEEGE, Bruno Faucheron a été convaincu par le mélange Pacha Max de Semences de France (un ray-grass hybride associé à trois trèfles), évalué à différents niveaux de fertilisation, et qui « dépassait les autres de 20 centimètres » sur le site expérimental. Semé en octobre 2022 sur 11 ha, il a produit 13 à 14 tMS/ha en 2023 sur la ferme. De quoi produire « 17 litres de lait par jour sans concentré ». Le Pacha est également utilisé pour préparer un aliment fermier (50 % Pacha et 50 % luzerne). Un autre essai d’association d’espèces est en cours sur cinq hectares. Il est composé à 30 % de trèfles et à 70 % de luzerne. « Il n’y a que la luzerne qui pousse en année sèche », pointe l’éleveur. Le DAC(1) des robots de traite est alimenté par deux goulottes délivrant du pois et du blé. « C’est le déficit de protéines dans la ration de base qui fait venir les vaches au robot », témoigne Bruno Faucheron, fort de huit années d’expérience du Lely A4. Dans la mélangeuse, 80 kg de blé sont ajoutés à l’ensilage de trèfle et de ray-grass, ce qui représente un kilogramme par jour et par vache en lactation. Une ration de base peu acidogène, contrairement à l’association ensilage de maïs-drêche de blé qu’il avait pratiquée par le passé.

 « Le bio n’est pas une science exacte »

Passé en bio en 2020, l’EARL de Cheveuges vend son lait à la coopérative Ucanel, partenaire de Lactalis dans deux usines de transformation situées dans le Nord et les Ardennes. Actuellement, le prix de base avoisine 525 €/1000 l. Le volume livré atteint 550 à 600 t selon les années, en fonction du rendement laitier (6 000 à 6 500 l/VL, 41/31, 180 000 à 200 000 cellules), lui-même dépendant de la qualité et de la disponibilité des fourrages dans une démarche de production économe et autonome. « Notre particularité, c’est que le troupeau peut monter à 120 vaches ou, au contraire, redescendre à 80, selon la conjoncture ». L’excédent brut d’exploitation (EBE) avoisinera 120 000 € en 2023, soit 40 % environ des produits. Il était tombé à 70 000 € en 2022, une année à oublier. « Le bio n’est pas une science exacte. Il faut trouver un point d’équilibre entre la capacité de production, la demande et la main-d’œuvre », résume Bruno Faucheron.

  1. GDS : groupement de défense sanitaire
  2. DAC : distributeur automatique de concentrés

EN CHIFFRES…

EARL de Cheveuges (Ardennes)

  • deux UMO(1) : Bruno Faucheron + une salariée (Camille Haulin)
  • une SAU(2) de 135 ha, dont 63 ha labourables
  • 100 vaches (Holsteins et croisées Brunes)
  • 550 à 600 t de lait bio vendu à Ucanel
  • deux robots de traite Lely A4
  1. UMO : unité de main-d’oeuvre
  2. SAU : surface agricole utile

 

Benoît Contour

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