« La France prend le chemin inverse de son voisin allemand », alertent les filières de l’agriculture biologique.
« Mardi soir, à quelques jours de l’ouverture du salon de l’agriculture, le cabinet du ministre Marc Fesneau recevait les filières biologiques au grand complet. Cette réunion, que le ministre n’a pas daigné honorer de sa présence, est le point d’orgue d’un an de discussions sur le soutien que l’Etat devrait apporter aux filières biologiques pour qu’elles surmontent la période de contraction du marché débutée en 2021. La conclusion est limpide et malheureuse : malgré l’objectif de presque doubler les surfaces bio en cinq ans, le soutien gouvernemental tant espéré ne vient pas », regrettent les producteurs et les organisations économiques de la filière bio (1) dans un communiqué du 23 février.
« Les acteurs de la bio n’ont eu de cesse depuis un an de devoir démontrer la réalité des difficultés, de les chiffrer, de proposer des mesures de soutien adaptées à chaque production. Pour obtenir toujours la même réponse : l’Etat français ne peut rien ! « Nous sommes en colère de nous être faits balader de bureau en bureau pour nous entendre dire que nous ne répondons jamais assez bien aux critères », explique Philippe Camburet, président de la FNAB.
Selon Mathieu Lancry, président de Forébio, « c’est la première fois que les filières bio demandent un accompagnement exceptionnel via des aides directes conjoncturelles. Nous avons un sentiment d’abandon de la part des pouvoirs publics qui laissent les structures économiques gérer seules les baisses de volumes, dans un contexte où nos collègues en conventionnel bénéficient régulièrement de plans d’aides (betteraves, porc, vin) ».
« Rappelons-le, la bio c’est 60 000 fermes (soit 10 % de surfaces préservées de l’utilisation de pesticides de synthèse), 30 000 entreprises, 200 000 emplois dont 150 000 non délocalisables et plus de 13 milliards d’euros de chiffre d’affaires. »
Cap sur la bio en Allemagne
« Pendant que la France laisse les filières bio s’enfoncer dans la crise sans réagir, l’Allemagne adopte son nouveau plan bio avec une ambition de 30 % de surfaces en 2030, 30 % du budget de la recherche soit 35 millions d’euros, et un engagement à financer l’aide au maintien dans les régions qui ne le feraient pas. »
« Les agriculteurs, les transformateurs et les distributeurs se sont engagés depuis des années pour développer des filières bio en France. Ne pas les soutenir dans cette phase de tension serait un terrible gâchis, et une occasion ratée pour la transition écologique », alerte Didier Perreol, président du Synabio.
« Les acteurs de la Bio demandent que la France agisse enfin en :
– adoptant une aide d’urgence 2023 pour les fermes et pour les acteurs des filières ;
– revalorisant le soutien sur le moyen terme avec un rebasculement dès 2023 des surplus Pac prévus sur les enveloppes conversion vers l’éco-régime bio (la conversion a fortement ralenti en 2022 ; les enveloppes ayant été calibrées sur l’ancienne dynamique, un reliquat conséquent va apparaître chaque année) ;
– rendant contraignant l‘objectif de 20 % de bio en RHD avant la fin de quinquennat ;
– engageant tous les acteurs agricoles et gouvernementaux dans la campagne de communication de l’Agence Bio #BioRéflexe. »
BC
(1) Fédération nationale de l’agriculture biologique (Fnab), Syndicat des entreprises agroalimentaires bio (Synabio), Fédération des organisations économiques 100 % bio (Forébio), Syndicat national des distributeurs spécialisés de produits biologiques (Synadis).
(crédit photo : Daniel Quiceno/FHCOM)
UNE RARE UNANIMITE
« Il est urgent de soutenir les producteurs et la filière » (FNSEA, JA, LCA, Chambres d’agriculture)
« Ces dernières années, le bio a connu un véritable essor, porté en partie par une politique de développement fortement initiée par les pouvoirs publics français et européen. Pourtant aujourd’hui sa consommation est en forte baisse d’environ 9 % en valeur. C’est la première fois que le marché bio recule autant en 20 ans ! », constatent la FNSEA, les Jeunes agriculteurs (JA), La coopération agricole (LCA) et Chambres d’agriculture France dans un communiqué commun du 23 février.
« Nos organisations et les autres acteurs de la filière biologique ont rencontré hier le Cabinet du ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire afin de rappeler le contexte particulièrement difficile dans lequel se trouvent l’ensemble des productions biologiques : baisse de la consommation, augmentation des coûts de production, pertes économiques et difficultés de trésorerie dans les exploitations, déclassements de la production biologique, cessations d’activité… »
« Pour nos organisations, la priorité réside dans la mise en place d’une aide conjoncturelle qui viendrait soutenir les producteurs. Cette mesure est indispensable pour passer la crise. La réponse du ministère à ce stade des discussions n’est pas satisfaisante. »
« D’autres pays européens traversent une crise du marché bio, comme l’Allemagne mais qui a pu compter sur un soutien de son Gouvernement : plan d’action interministériel, qui comprend un volet sur la recherche (35 millions d’euros par an), un soutien aux cantines scolaires, la mise en place d’une campagne de communication grand public par le Gouvernement, etc. Au contraire, en France, si nous saluons les actions menées sur la communication, nous souffrons d’une loi EGalim qui a assigné des objectifs de qualité et de bio à la restauration collective sans lui confier de moyens financiers supplémentaires mais aussi d’une mobilisation insuffisante sur l’enjeu – pourtant fondamental – de la recherche. »
« Pour nos organisations, les 60 000 fermes engagées en bio méritent aujourd’hui un accompagnement à la hauteur au regard de la crise traversée. Nous sommes également convaincus que l’objectif de développement de la bio à 18 % de la SAU en 2027 doit être revu à la lumière de la situation économique actuelle ! Permettre de continuer la dynamique de développement de la bio est une nécessité, mais celle-ci doit se faire en cohérence avec le marché, nous portons une position responsable qui ne doit pas pousser les agriculteurs à la déconversion, mais qui doit inciter les nouvelles conversions à être connectées à un débouché. L’enveloppe de l’aide à la conversion qui risque donc de ne pas être intégralement consommée doit être un levier pour aider tous les producteurs biologiques. »
« L’enjeu de la souveraineté alimentaire doit être partagé également pour l’agriculture biologique : les injonctions politiques sur le développement de la bio doivent aujourd’hui être suivies d’un accompagnement des agriculteurs engagés en bio : nous attendons à ce titre que le ministère de la transition écologique prenne aussi ses responsabilités ! »
« Monsieur le Président, n’abandonnez pas les agriculteurs bio ! » (Conf’)
« A la veille du Salon de l’agriculture, l’ensemble de la profession attend des annonces du Président de la République concernant une aide directe aux producteurs en agriculture biologique pour les aider à surmonter la crise conjoncturelle à laquelle ils sont confrontés depuis plusieurs mois », écrit la Confédération paysanne dans un communiqué du 23 février.
« Dans ce contexte, l’ensemble des organisations professionnelles et acteurs représentant l’agriculture biologique, amont et aval de toutes les filières, ont construit collectivement un plan de sauvegarde de l’agriculture biologique en France, basé sur une analyse détaillée de la situation et des chiffres. Des réunions de travail avaient abouti à l’unanimité à la demande d’une aide d’urgence conséquente pour envoyer un signal fort aux producteurs et productrices sur la nécessité de leur travail. Ensemble, nous avons présenté tout récemment auprès du cabinet du Ministère de l’Agriculture des propositions pour sortir de la crise dans laquelle s’enfoncent de nombreux agriculteurs et entreprises engagées en AB. »
« Nous saluons ce remarquable effort de coordination entre acteurs de l’AB mené ces derniers mois. Il renforce la justesse et la légitimité des propositions portées dans ce plan de sauvegarde. »
« Face au désarroi de la profession et des filières bio, aucune réponse ne nous a été apportée par le gouvernement. Les aménités positives de l’AB sur la qualité de l’eau, l’amélioration de la biodiversité, la préservation des sols et de la santé humaine ne sont pourtant pas contestables. Doit-on rappeler que le cahier des charges de l’agriculture biologique interdit l’utilisation des pesticides de synthèse et des OGM ? »
« Face à l’absence de reconnaissance de l’AB, comment ne pas s’interroger sur les soutiens publics octroyés, dans le même temps, à certaines filières aux pratiques qui bloquent la transition agricole et environnementale ? Plus que jamais, la Confédération paysanne revendique un soutien urgent aux producteurs bios et à poursuivre le travail initié collectivement avec la Fnab, le Synabio et d’autres. »
« Nous insistons sur la responsabilité du Président de la République de donner très rapidement des signaux sur les choix engagés par la France envers l’agriculture bio et les femmes et les hommes qui la font vivre au quotidien. Cela passe inévitablement par la mise en place, à très court terme, d’une aide d’urgence aux producteurs pour pérenniser leur activité. Nous exigeons aussi l’application immédiate, pleine et entière de la loi Egalim en atteignant de façon effective les 20 % de produits bio en restauration collective. »
« En complément, une évolution des politiques publiques, notamment de la Pac (aides au maintien à l’agriculture biologique, outils de régulation, de prévention et de gestion de crises…) devra être engagée à moyen terme. »
A lire également :
La Confédération paysanne demande 15 000 € pour chaque agriculteur bio (6 février 2023)
A télécharger :
Tableau de bord hebdomadaire des produits laitiers (FranceAgriMer, 9 mars 2023)
Chiffres clés des produits laitiers bio (Cniel, mars 2023)
Quel élevage voulons-nous pour demain ? (Collectif Nourrir, 1er mars 2023)
Conjoncture du lait de vache biologique (FranceAgriMer, 21 février 2023)