Peu organisée, gourmande en subventions, polluante, la filière bovine française doit réduire la voilure, recommande la Cour des comptes.
Sous couvert d’un examen des « soutiens publics aux éleveurs de bovins », la Cour des comptes a rendu public, le 22 mai, un rapport au vitriol sur la filière bovine, notamment allaitante, qui représente néanmoins « une composante significative de l’agriculture française » : en 2020, on dénombrait 91 123 exploitations spécialisées en élevage de bovins (lait, viande et mixte) qui occupaient 32,7 % de la surface agricole utile.
« À raison de 4,3 milliards d’euros d’aides publiques par an, l’élevage bovin demeure, de loin, l’activité agricole la plus subventionnée en France. Pour autant, le modèle économique des exploitations d’élevage apparaît fragile et sa viabilité reste dépendante du niveau élevé d’aides publiques. En élevage allaitant, les causes de cette piètre performance économique tiennent non seulement aux faiblesses du modèle économique des exploitations, mais aussi à la difficile adaptation de la production aux évolutions de la consommation, ainsi qu’aux fragilités et au manque de structuration de la filière. »
« Contractualisation quasi-inexistante »
La Cour des comptes relève ainsi qu’en dépit des lois Egalim, « la contractualisation est quasi-inexistante, et 95 % des ventes de gros bovins se font selon un marché type spot, en prix et en volume, y compris l’essentiel des ventes sous statut coopératif (…) Cela maintient la filière dans une logique de flux poussés (déterminés par l’offre plus que par la demande) et de faible coordination entre les maillons. Les contrats commerciaux incluant volumes et prix restent marginaux et ceux prenant en compte un indicateur de coût de production sont estimés à seulement à 2 % dans le diagnostic préalable au PSN (Plan stratégique national, ndlr). Il faut toutefois relever que 29 OP du secteur bovins viande ont entamé une démarche d’évolution vers la négociation collective, et que l’association Elvea qui les regroupe vient de se voir reconnaître, par l’arrêté du 3 février 2022, le statut d’association d’OP. »
Un bilan climat « défavorable »
Selon la Cour des comptes, « le bilan de l’élevage bovin pour le climat est défavorable. Malgré certains effets de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), comme par exemple le stockage de carbone dans le sol des prairies permanentes, globalement les émissions de GES restent toujours très importantes, principalement en raison du méthane produit lors de la digestion des animaux. L’élevage bovin est ainsi responsable en France de 11,8 % des émissions d’équivalents CO2, comparables à celles des bâtiments résidentiels du pays. Le respect des engagements de la France en matière de réduction des émissions de méthane (souscrits dans l’accord international Global Methane Pledge) appelle nécessairement une réduction importante du cheptel. Cette réduction peut être aisément conciliée avec les besoins en nutrition des Français, un tiers d’entre eux consommant davantage que le plafond de 500 g par semaine de viande rouge préconisé par le plan national nutrition santé. Le PSN de la Pac élaboré par le ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire n’aborde pourtant pas directement l’enjeu de la réduction du cheptel. Il retient même certains indicateurs non pertinents pour mesurer l’effort de l’agriculture dans la lutte contre le réchauffement climatique : ainsi, l’augmentation des surfaces de prairies ne conduit pas à réduire les émissions de GES, si elle s’accompagne d’un cheptel supplémentaire émettant toujours davantage de GES que sa prairie n’en stocke. »
A noter que dans un second rapport, relatif aux « incidences économiques de l’action pour le climat », remis le 22 mai également à la Première ministre, deux économistes font valoir qu’en matière de décarbonation de l’élevage bovin, « il n’y a tout simplement pas de solution immédiate du côté de l’offre. En outre, les gains d’efficacité énergétique vont sans doute s’accompagner d’effets rebond qui viendront atténuer l’impact direct de la réduction des émissions. Il est donc indispensable d’agir parallèlement sur la demande » (page 40).
Revoir les soutiens et aider les reconversions
Sur ces bases, conclut la Cour des comptes, « la politique de soutien à l’élevage bovin doit être clarifiée et mise en œuvre. L’absence de choix clairs conduit à laisser disparaître les plus fragiles dans de mauvaises conditions, alors même qu’il serait nécessaire de construire un système d’aides plus individualisées, conciliant les paramètres de performance économique et de performance socio-environnementale. Les exploitations qui satisfont déjà à ces exigences seraient confortées. Les exploitations produisant des externalités positives mais peu performantes économiquement ou celles, à l’inverse, viables économiquement mais produisant peu d’externalités, pourraient être mieux accompagnées pour tendre vers un modèle d’élevage performant et durable. Comme pour les entreprises, il s’agit, pour les exploitations agricoles, d’appréhender à la fois les performances financières et extra-financières. Enfin, les exploitations en difficulté sur tous les plans pourraient être accompagnées dans une nécessaire reconversion. »
BC
LES REACTIONS
« Cour des comptes ou cour des contes ? » (Coordination Rurale)
« Après Bruno Le Maire le 17 mai dernier, c’est au tour de la Cour des comptes de s’improviser spécialiste des questions agricoles et environnementales dans son rapport intitulé « Les soutiens publics aux éleveurs bovins » publié mardi 22 mai. Selon cette dernière, la France devrait réduire drastiquement son cheptel, qui « pollue » et n’est pas compétitif, voire coûte de l’argent public. Les sections Lait et Viande de la Coordination Rurale souhaitent revenir sur quelques extraits de ce rapport. »
« La Cour des comptes estime que « la baisse du cheptel n’entamerait pas la « souveraineté » de la France en matière de viande rouge à condition que les consommateurs suivent les recommandations des autorités de santé de ne pas en manger plus de 500 grammes par semaine ». En réalité, 82 % des Français mangent déjà moins de 500 g de viande (toutes viandes confondues) en 2019 et les chiffres de consommation de viande sont en baisse. Sachant qu’aujourd’hui 1 steak sur 4 provient de l’étranger, la Cour des comptes légitimerait-elle le fait de signer des accords de libre-échange qui mettraient encore plus à mal la filière élevage, l’ouvrant davantage à la guerre concurrentielle des prix mondiaux ? Vouloir être plus vert sur notre territoire n’implique pas forcément d’aller produire une viande plus polluante à l’autre bout du monde. »
« Les auteurs du rapport avancent également que « la séquestration de carbone par les prairies où pâturent les bêtes est « loin de compenser les émissions » de l’élevage. Le bilan de l’élevage est principalement plombé par les rejets de méthane : la production de ce gaz au pouvoir très réchauffant ». Or, le méthane dégagé par les ruminants provient de la consommation de végétaux ; contrairement aux émissions de type « industrielles », il ne s’agit pas d’émissions fossiles. Pour rappel, le secteur du transport est le premier pollueur en France avec 30 % des émissions, suivi de l’industrie. Grâce aux efforts continus sur les techniques d’élevage, les émissions de GES de l’élevage ont baissé de 11 % en 20 ans en France, alors qu’elles ont augmenté de 5 % pour le transport depuis 1990. »
« Enfin, pour la Cour des comptes, « si les revenus tirés de l’activité d’élevage bovin demeurent faibles, l’importance du capital mobilisé pour la conduire confère aux éleveurs un patrimoine professionnel important, financé, d’une part, par l’activité elle-même, et d’autre part, pour l’essentiel, par les aides publiques perçues ». Pourtant, selon l‘Observatoire de l’endettement et des trésoreries des exploitations bovines, 49 % des exploitations bovines (toutes productions confondues) ont un taux d’endettement élevé (annuités supérieures à 40 % de l’EBE). De plus, les aides publiques et européennes, lorsqu’elles ont été instaurées, s’appelaient « aides compensatoires », et étaient censées palier la différence entre prix de marché et coût de production, et ainsi permettre à la population de consommer des produits sains à des tarifs abordables. »
« Les éleveurs sont fatigués d’être le bouc émissaire permanent du réchauffement climatique, et voilà maintenant qu’ils seraient responsables de creuser la dette publique ? Que les auteurs de ce rapport se rassurent, l’érosion du cheptel bovin est bien lancée (1 million de vaches en moins depuis 10 ans, 200 000 rien qu’en 2022), tout comme le nombre d’agriculteurs qui s’effondre un peu plus d’années en années (- 100 000 éleveurs depuis 10 ans). À l’heure où le gouvernement s’efforce de réinsuffler un élan vers l’installation afin d’assurer notamment le renouvellement de la population agricole pour garantir la souveraineté alimentaire du pays, la Coordination Rurale doute que ce genre de rapport pousse les jeunes vers les métiers agricoles… »
« L’élevage bovin est vital pour les territoires » (Modef)
« Le 22 mai 2023, la Cour des Comptes a publié deux recommandations pour anéantir l’élevage bovin français. La première est : « mieux accompagner les éleveurs les plus en difficulté – un dispositif d’aides à la reconversion sur la base de cahier des charges publics et précis, définis en cohérence avec les objectifs économiques, environnementaux et sociétaux affichés. La deuxième est : « définir et rendre publique une stratégie de réduction du cheptel bovin cohérente avec les objectifs climatiques ». Ce rapport est publié quelques jours après l’inauguration de la plus grande usine de viande végétale par l’ancien ministre de l’agriculture » (Bruno Le Maire, ministre de l’économie, NdlR), note le Modef dans un communiqué du 26 mai.
« Il est également préconisé dans ce document : « par ailleurs, autant pour diversifier les revenus et que pour contribuer la transition, la production d’énergie (de biogaz par méthanisation, d’électricité dans le cadre de l’agrivoltaïsme) peut constituer une opportunité à saisir par les éleveurs français. Le message est clair : diminuez les bovins et produisez de l’électricité ! Le Modef est vent debout contre ce rapport car malheureusement le cheptel bovin a perdu 9,5 % de ses effectifs en six ans, soit 837 000 vaches. La décapitalisation du cheptel de vaches allaitantes s’est accélérée en 2022. Le rythme annuel de baisse est passé de 2,8 % fin 2021 à 3 % en 2022. »
« Le vieillissement des éleveurs en production bovine est massif. En 2018, 51,5 % des producteurs allaitants ont plus de 50 ans et 49,5 % pour les laitiers. D’ici 2030, la France devrait perdre 584 000 vaches et 2 % d’éleveurs par an. Ces chiffres sont alarmants ! Aujourd’hui, le renouvellement des générations est en perte de vitesse, un producteur de bovins viande sur six n’est pas remplacé. Pour le Modef, le défi majeur est bien le renouvellement des générations. »
« Faut-il que vaches, porcs, et moutons disparaissent entièrement du paysage pour qu’il y ait une prise de conscience de la part des autorités européennes et nationales ? Aujourd’hui, l’élevage de bovins est menacé par le gouvernement et le président de la Cour des Comptes. Pourtant, l’élevage bovin plein air, extensif, est vital pour nos territoires car il structure et aménage nos territoires, participe au maintien de la biodiversité, fournit à la population l’alimentation dont elle a besoin. Il est l’ambassadeur de nos régions par la qualité de ses produits et leur lien au terroir. »
« L’élevage à l’herbe comme dans le Massif Central ou le Jura permet de stocker du carbone et de préserver la biodiversité. Le Modef insiste sur l’intérêt de la sauvegarde et de l’entretien des prairies naturelles par l’élevage. L’élevage joue un rôle essentiel sur les prairies pour lutter contre le réchauffement climatique en stockant le carbone dans les sols. En effet, l’élevage à l’herbe permet de compenser ses émissions de méthane, notamment grâce au pâturage sur prairies permanentes. »
« En France, une partie de la biodiversité se trouve dans les prairies et elles représentent environ la moitié de la surface agricole française. Il est indispensable de sauver l’élevage français ! Le Modef considère qu’il faut mettre un coup d’arrêt à l’industrialisation de l’agriculture. L’avenir de l’agriculture passe par le développement d’une agriculture familiale et paysanne. Nous nous battons pour maintenir une agriculture rémunératrice, solidaire, durable, responsable et créatrice d’emplois sur les territoires ruraux », conclut le communiqué.
A télécharger :
La réponse du ministère de l’agriculture à la Cour des comptes (22 mai 2023)
Conjoncture des viandes rouges (FranceAgriMer, 4 juillet 2023)
Haro sur le bovin ! (Chambres d’agriculture France, 4 juillet 2023)
Bulletin hebdomadaire des filières ruminants (Interbev, 21 juin 2023)
Bulletin hebdomadaire des filières ruminants (Interbev, 14 juin 2023)
Indicateurs de conjoncture viande bovine (FranceAgriMer, 12 juin 2023)
Bulletin hebdomadaire des filières ruminants (Interbev, 7 juin 2023)
Bulletin hebdomadaire des filières ruminants (Interbev, 31 mai 2023)
Conjoncture mensuelle du lait de vache (FranceAgriMer, 31 mai 2023)
Conjoncture mensuelle des viandes rouges (FranceAgriMer, 31 mai 2023)
Nouveau repli des abattages de bovins en avril (ministère de l’agriculture, 31 mai 2023)
Le cheptel bovin sur l’autel des gaz à effet de serre (Agriculture Stratégies, 24 mai 2023)
Bulletin hebdomadaire des filières ruminants (Interbev, 24 mai 2023)
Population bovine au 1er mai 2023 (FranceAgriMer, 23 mai 2023)
Lettre ouverte de la FNB à Elisabeth Borne (23 mai 2023)