La ferme de Grignon, historiquement rattachée à AgroParisTech, se veut productive, économe en énergie, respectueuse des animaux et de ses salariés, mais aussi rentable. En un mot durable. Visite d’une exploitation qui met en pratique une « vision de l’agriculture de demain ».
Bien qu’encore expérimentale, la ferme de Grignon, installée sur 400 ha à Thiverval-Grignon (Yvelines), n’est plus essentiellement la ferme d’application de l’AgroParisTech installée à quelques centaines de mètres de là. Les porcs, les volailles et les jeunes bovins qui s’y trouvaient encore dans les années 1980 ont entièrement disparu pour laisser place aux vaches laitières (aujourd’hui 200 Holsteins) et aux moutons (600 brebis Romane ou Berrichon du Cher). Pour affirmer un peu plus l’impératif de rentabilité, la fabrication de produits laitiers et la vente directe à la ferme ou via des revendeurs, a été fortement développée. Les produits proposés à la vente incluent notamment yaourts, fromages blancs, laits de consommation, crème et caissettes de viandes d’agneau. 40 % des 2 millions de litres de lait de vache produits chaque année à Grignon sont transformés sur place. Le reste est vendu à la laiterie de Saint-Denis-de-l’Hôtel (Loiret), celle-là même qui s’est impliquée dans la filière C’est qui le patron ? ®. Celui-ci est en partie écoulé sous la marque Lait d’Ile-de-France créée avec deux autres exploitations des Yvelines.
Les vaches et leur suite, soit 370 bovins au total, sont élevées sur des caillebotis agrémentés de matelas de farine de paille. Jusqu’en 2016, les vaches pouvaient sortir à l’extérieur, ce qui n’allait pas sans poser des problèmes de transition alimentaire. Sur les sols de limon profond de la plaine de Versailles, au fort potentiel agronomique (100 q/ha de blé tendre en agriculture raisonnée), la rationalité économique l’a finalement emporté. Les vaches produisent en moyenne 10 000 litres de lait sur trois lactations, avec un premier vêlage à deux ans. « Dans l’élevage laitier de Grignon, les vaches sont aujourd’hui sélectionnées sur des aspects fonctionnels et notamment les risques de boiteries et la conformation de la mamelle. Cette sélection minutieuse génère de meilleures performances sur le plan économique et social, avec la réduction des problèmes de boiterie et l’augmentation de la facilité de traite, ce qui permet d’augmenter la durée de vie des vaches », écrit Sophie Carton, chargée de mission à la ferme de Grignon, dans une sorte de manifeste intitulé Pour l’agriculture de demain (voir encadré) qu’elle a récemment publié avec d’autres ingénieurs agronomes d’AgroParisTech et du Céréopa (2).
La salle de traite, composée de 2 x 12 postes, ne sort pas vraiment de l’ordinaire à première vue, sinon par la passerelle surplombante aménagée pour les visites du public et par son pré-refroidisseur de lait – un échangeur de température permettant d’une part d’abaisser le lait sorti du pis sous les 20°C tout en réchauffant l’eau de boisson des vaches. La traite de l’après-midi débute d’ailleurs à 15 heures, de sorte que les enfants des écoles puissent y assister. Celle du matin démarre à 5h30. Tout comme la centrale à eau glacée permettant de fabriquer du froid pour la laiterie aux heures creuses, et le variateur de fréquence de la pompe à vide, le pré-refroidisseur n’aurait pas pu être rentabilisé dans une exploitation de petite dimension, observe Sophie Carton.
10 000 litres sans soja
Les vaches en lactation reçoivent une ration complète mélangée d’environ 23 kilos de matière sèche à base d’ensilages de maïs (7 kg), de luzerne (3,4 kg) et de maïs épi (2,3 kg), utilisée depuis trois ans. S’y ajoutent de la pulpe de betteraves surpressée (1,4 kg), du foin de luzerne (1,2 kg), de l’orge (1,3 kg), du maïs grain broyé (1,1 kg), du tourteau de colza à 3 % de matière grasse (1,7 kg), du tourteau de colza gras à 12 % de MG (1,1 kg), du tourteau de colza tanné (2 kg), des écarts de triage de pomme de terre (0,2 kg) – « il ne faut pas être fermé aux opportunités locales ». Cette ration type, servie dès fin 2016 début 2017, est complémentée de minéraux et d’oligoéléments. Mais En effet, plus aucun soja n’entre à Grignon depuis 2002. « On sait produire beaucoup de lait avec du tourteau de colza », souligne Sophie Carton, en notant que la quantité de matière sèche ingérée par litre de lait produit a diminué de 10 % en dix ans grâce à la formulation de la ration, à la qualité des fourrages, à l’augmentation de la productivité des vaches et à la baisse du nombre d’animaux improductifs. Chaque jour, la mélangeuse-peseuse enregistre les quantités d’aliment distribuées. Les refus, pesés le lendemain, de sorte à apprécier les quantités réellement ingérées par les vaches, seront ensuite distribués aux génisses.
L’essentiel de la ration est cultivée sur la ferme de Grignon, mais celle-ci n’en fait pas une affaire de principe, préférant la notion d’autonomie territoriale. À preuve, les trois quarts de la luzerne servie aux animaux sont récoltés en frais (4 à 5 coupes par an) dans des exploitations bio alentour. Le tourteau de colza gras est cultivé sur la ferme de Grignon mais trituré par un agriculteur voisin déjà équipé du matériel de pressage. Enfin, la pulpe est fournie par une sucrerie distante de 90 km. Rien de rédhibitoire, en ce qui concerne le bilan carbone, eu égard à son intérêt nutritionnel, en comparaison surtout des produits déshydratés comme les bouchons de luzerne et autres drêches qui entraient antérieurement dans la formule. La ferme de Grignon met d’ailleurs en avant une baisse de 40 % des consommations d’énergie primaire (aujourd’hui 2,8 MJ/l de lait) et de 25 % des émissions de gaz à effet de serre (760 g de CO2/l) entre 2006 et 2016. Ces baisses significatives résultent principalement de l’utilisation de fourrages et de concentrés moins impactants qu’auparavant et de l’amélioration de la productivité du troupeau découlant de différents facteurs (conditions d’élevage, alimentation, sélection génétique, etc.). Des chiffres qui la situent 10 à 20 % en dessous de la moyenne des fermes laitières françaises telle qu’elle est évaluée dans le cadre du programme Agribalyse® (3). Si la place du maïs ensilage dans la ration s’est érodée (- 30 %) depuis une dizaine d’années à Grignon (rendement : 14 t/ha de matière sèche, sans irrigation), son intérêt économique et même environnemental n’est pas remis en cause. « Dans le cas du maïs ensilage, on sait ce qu’on a, combien cela va coûter en euros et pour l’environnement. À Grignon, l’herbe, c’est beaucoup plus aléatoire, y compris en valeur nutritionnelle. Le maïs est plus énergivore que l’herbe de printemps, mais moins que l’herbe d’automne et beaucoup moins que le foin, pour une valeur UF (unité fourragère) élevée et assez stable. Finalement, notre herbe, c’est la luzerne, du fait de ses rendements réguliers sur nos terres. »
Cet article est un extrait de Grands Troupeaux Magazine numéro 57.