Contractualisation rime avec divisions

Un collectif appelle à manifester et à signer une pétition « contre la contractualisation obligatoire » en viande bovine. Le symptôme de positions syndicales divergentes.

« Notre liberté de commerce est aujourd’hui remise en cause par la loi Egalim 2 », affirment les « Agriculteurs et négociants solidaires » dans un appel à exprimer son « mécontentement » le jeudi 23 décembre à Clermont-Ferrand. « Certains de nos élus ont mis en place la contractualisation obligatoire de notre production. A partir du 1er janvier 2022, nous serons obligés de contractualiser sur les trois années à venir tous les bovins de plus de 12 mois de race à viande, ainsi que tous les animaux sous signes officiels de qualité. D’ici 2023, nous serons dans l’obligation de contractualiser sur toutes nos productions. »

« Nous, agriculteurs et négociants, souhaitons continuer d’exercer nos métiers avec liberté. Nous ne voulons pas que nos relations commerciales soient contraintes par des contrats écrits obligatoires et pluriannuels. La contractualisation doit demeurer un acte volontaire. Notre filière est d’une telle complexité que nous ne pouvons pas nous engager sur la contractualisation. Quelle que soit la forme que peut prendre la mise en marché des animaux, agriculteurs et négociants doivent rester libres de leurs choix et de leur liberté de commercer », ajoute le collectif.

« Limiter les contrats à 70 % des cheptels » (CR)

En parallèle, une pétition, déjà approuvée par plus de 600 signataires, considère, elle aussi, les contrats pluriannuels obligatoires et la loi Egalim 2 comme « une atteinte à notre liberté ». Mais elle se montre légèrement plus nuancée que l’appel à manifester dans la mesure où elle estime que la filière bovine « est d’une telle complexité que nous ne pouvons pas nous engager sur la totalité de notre production dans des contrats ». Une formulation qui n’est pas sans évoquer la position de la Coordination rurale (CR) qui, dans un communiqué du 10 décembre, « demande que la contractualisation se limite à 70 % des cheptels ». Une manière pour le syndicat de « donner une chance » à la loi Egalim 2 dans la mesure où « la loi Egalim 1 a été un échec ». Car, sur le fond, la CR, « qui s’est toujours opposée à la contractualisation obligatoire, estimant qu’elle prive les éleveurs de liberté, émet plusieurs réserves :

  • Comment une contractualisation franco-française pourra-t-elle s’inscrire dans le marché européen à la fois pour les importations, mais aussi pour les exportations ? N’y aura-t-il pas une tentation des industriels à se fournir à l’étranger ? Nos positions à l’export sont-elles suffisamment robustes pour imposer nos coûts de production ?
  • La contractualisation se met en place dans un contexte de hausse des prix. Ne risque-t-elle donc pas de limiter cet effet de marché ? De plus, elle intervient alors que les coûts de production sont au plus haut : les indicateurs de coût de production seront-ils suffisamment fiables pour éviter une chute des prix par la suite ? », interroge encore la CR.

« Une menace pour l’autonomie des paysans » (Conf’)

De son côté, la Confédération paysanne estime, dans un communiqué du 15 décembre, que la loi Egalim 2 sera « inopérante » pour les producteurs de viande bovine, et ce « pour deux raisons principales. D’abord, en refusant d’interdire le paiement en-dessous du prix de revient, le gouvernement laisse la fixation du prix à la négociation entre les paysan.nes et leurs acheteurs. Cette réforme ne change donc rien à l’asymétrie du rapport de force. De plus, l’introduction d’indicateurs de coûts de production dans les modalités de fixation du prix n’aura pas d’intérêt tant que les acheteurs pourront décider, au détriment des paysan.nes, de minorer leur prise en compte en faveur des prix du marché. Deuxième point tout aussi fondamental : la contractualisation obligatoire, le socle d’Egalim 2, censé permettre de mieux rémunérer les éleveurs.euses. Mais ce que le Ministre n’évoque jamais, c’est que sans une prise en compte réelle du prix de revient, cette contractualisation obligatoire est en fait une menace pour l’autonomie des paysan.nes, et ce pour trois raisons :

– L’engagement sur 3 ans, sans contrainte réelle sur les prix, risque de rendre captif les paysan.nes, au profit de leurs acheteurs qui se sécurisent un volume d’approvisionnement pour faire tourner leurs outils.

– A l’échelle du commerce d’animaux entre paysan.nes, cette réforme a encore moins de sens : qui va faire un contrat de 3 ans pour acheter quelques bêtes à son voisin ? Il n’est pas possible que tous les échanges se fassent sur une échelle de 3 ans.

– Enfin, la contractualisation de 100 % des volumes avec des contrats complexes enclenche des obligations administratives démesurées pour de nombreux paysans.nes qui croulent déjà sous la paperasserie. »

« Enfin, la seule petite lueur d’intérêt d’Egalim 2 est totalement douchée par le comportement des entreprises de l’aval qui refusent de contractualiser et qui empêchent Interbev de faire son travail de publication des indicateurs de coût de production », estime encore la Confédération paysanne.

« Le contrat pour aller chercher du prix » (FNB)

Le point de vue est bien différent à la Fédération nationale bovine (FNB). « Depuis plus de vingt ans, nous nous battons pour faire entrer la contractualisation dans les pratiques de notre filière », estimait, le 5 octobre, Bruno Dufayet, son président. « Le contrat, c’est la meilleure manière pour un éleveur de redevenir acteur dans la négociation du prix de ses animaux. C’est plus de visibilité et de perspectives pour le vendeur, comme pour l’acheteur. C’est plus de transparence dans les relations commerciales et dans la lecture du marché. Et un vrai levier concret pour sécuriser le renouvellement des générations dans notre secteur. »

« Il aura malheureusement fallu une obligation par la loi pour provoquer ce basculement. Désormais, nous serons aux côtés des éleveurs pour les accompagner dans ce changement d’habitudes et les aider à utiliser ce nouvel outil pour aller chercher du prix », ajoutait Bruno Dufayet. La FNB reconnaît qu’il s’agit d’un « bouleversement des pratiques dans ce secteur alors qu’à ce jour, moins de 3 % des volumes (1)  font l’objet d’une contractualisation écrite ».

ELVEA France va diffuser des modèles de contrats

« ELVEA France (2) se désolidarise de toutes les manifestions anti-contrat », affirme un communiqué du 22 décembre. « La Loi Besson-Moreau (Egalim 2, ndlr) rend les contrats obligatoires pour une partie des catégories de bovins de races à viande au 1er janvier 2022, puis pour les bovins maigres au 1er juillet 2022. Cette loi pourrait paraître contraignante à première vue, mais le réseau ELVEA France doit rester pragmatique et mettre la loi en exercice. Pour permettre aux éleveurs adhérents des ELVEA de s’approprier les exigences de cette nouvelle loi et de renverser la dynamique des prix, nous devons participer à la construction des contrats et rester proactifs. »

« Pour rappel, cette loi a pour objectif de mieux faire correspondre l’offre à la demande afin de limiter la volatilité des prix. C’est un nouvel outil qu’il nous faut nous approprier, car c’est le rôle des OP (organisations de producteurs, ndlr) d’organiser le marché. Notre objectif doit rester la mise à disposition pour nos adhérents d’un environnement commercial propice et de tous les outils pour commercialiser au meilleur prix. C’est dans cette démarche qu’ELVEA France s’inscrit de manière active, en prévoyant notamment de diffuser très largement des modèles de contrats. »

« La loi s’applique au 1er janvier, nous nous devons de la mettre en exercice étant donné notre rôle d’OP. Il y aura peut-être des ajustements à faire au fur et à mesure de la mise en application de la loi, mais c’est en pratiquant et en lançant la dynamique que nous aurons ensuite la capacité de faire bouger les lignes le cas échéant. Nous comprenons bien les difficultés que peuvent engendrer cette loi concernant la mise en place des contrats particulièrement pour les catégories maigres, et nous accompagnerons au mieux le dispositif pour que tous puissent se l’approprier. »

BC

(1) Les viandes bovines commercialisées sous labels rouges ont progressé en volume de 13,9% en 2020 pour approcher 21 300 tonnes, selon le bilan annuel des signes de qualité présenté en décembre 2021 par l’INAO.

(2) Elvea France, section de la FNB, indique fédérer 37 associations d’éleveurs agréées comme organisations de producteurs non commerciales (OPNC) par le ministère de l’agriculture.

A lire également :

La viande bovine à un carrefour (24 déc. 2021)

A télécharger :

Les outils de la contractualisation bovine (Interbev)

L’avenir des protéines animales en France (Crédit Agricole, sept. 2021)

Conjoncture hebdomadaire des viandes (FranceAgriMer, 10 janv. 2022)

Bulletin hebdomadaire des filières ruminants (Interbev, 5 janv. 2022)

Tableau de bord hebdomadaire des viandes (FranceAgriMer, 3 janv. 2022)

Bulletin hebdomadaire des filières ruminants (Interbev, 29 déc. 2021)

Tableau de bord hebdomadaire des viandes (FranceAgriMer, 27 déc. 2021)

Conjoncture mensuelle de la viande bovine (FranceAgriMer, 22 déc. 2021)

Bulletin hebdomadaire des filières ruminants (Interbev, 22 déc. 2021)

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