Cinq scénarios pour la viande bovine

A quoi ressemblera l’élevage bovin viande en 2035-2040 ? A défaut de prédire l’avenir, une vingtaine d’experts ont sélectionné une petite centaine d’hypothèses résumées par « 5 scénarios contrastés ».

L’interprofession bétail et viandes (Interbev) a souhaité une prospective pour la filière viande bovine à l’horizon 2035-2040. Cet exercice a été confié à FranceAgriMer qui a constitué un groupe de 17 experts (professionnels de la filière, chercheurs, administration) qui s’est réuni 16 fois entre juillet 2016 et mars 2018. Le résultat de ce travail tient en « 5 scénarios contrastés » qui ne prétendent « pas prédire l’avenir » mais s’attachent à « anticiper différentes situations que l’on pourrait rencontrer, sans préjuger de leur caractère probable, souhaitable ou au contraire redoutable ». D’un scénario à l’autre, l’avenir des éleveurs de bovins allaitants diverge considérablement.

Scénario 1 : Repli national dans un contexte de crise globale

« Affectée par la crise globale (économique et énergétique), la consommation mondiale de viande bovine diminue au bénéfice des céréales et des autres protéines végétales plus compétitives. Le « citoyen–consommateur », prioritairement préoccupé par la chute de son pouvoir d’achat, accepte la pérennité des systèmes actuels d’élevage et de transport des animaux vivants : la réglementation n’est pas durcie.

Dans un contexte de crises sanitaires, les acheteurs français (restauration collective, grande distribution) privilégient l’offre nationale pour fournir un marché français en contraction. Les consommateurs achètent de la viande bovine majoritairement pour assurer un apport en protéines animales .

Dans un premier temps, l’intensification de l’élevage dans des zones riches en sous-produits alimentaires s’accompagne d’un niveau de pollution plus élevé, notamment des sols et des eaux, engendrant des réactions locales, ce qui conduit à l’application du principe du « pollueur-payeur ». En conséquence, les exploitations bovines françaises tendent, dans un second temps, vers des systèmes de productions plus extensifs et performants en matière de respect des contraintes environnementales. A côté de l’élevage laitier qui coproduit l’essentiel de la viande avec des races mixtes, cette évolution favorise les exploitations spécialisées en viande bovine, qui sont moins nombreuses et ont diversifié leurs sources de revenu. Ces exploitations ont opté pour un modèle d’élevage extensif où l’herbe (sur pied et conservée) représente l’essentiel de la ration.

Le marché intra-UE se recompose avec une forte contraction de l’activité, affectant notamment les débouchés de la production française, ce qui se traduit par une forte diminution du troupeau allaitant spécialisé. Des solutions locales de soutien à l’activité des éleveurs sont mises en place dans certaines régions (« locavorisme » pour la restauration scolaire, valorisation volontariste des coproduits : cuirs…). »

Scénario 2 : Viande à bas coût & importations dans un contexte de crise économique et de limitation des émissions de gaz à effet de serre

« Les déséquilibres d’ordres financier et monétaire débouchent sur une crise mondiale généralisée. La baisse de l’activité économique s’accompagne d’une forte diminution de la demande énergétique qui entraîne une chute du prix du pétrole. Soucieuse d’éviter l’aggravation de la situation dans les années à venir par une crise climatique, la communauté internationale se mobilise contre le changement climatique, notamment en réduisant les émissions de gaz à effet de serre. La taille du cheptel national est en conséquence limitée (quota), ce qui pousse à améliorer la productivité par tête et intensifier l’élevage.

Avec la diminution du pouvoir d’achat favorisant l’effet de substitution en faveur des protéines végétales plus compétitives, la consommation de viande bovine diminue fortement en France. Le consommateur achète de la viande bovine quasi-exclusivement pour assurer un apport en protéines animales, sans trop prendre de temps pour la cuisiner (« viande ingrédient »). Le « citoyen-consommateur », prioritairement préoccupé par la chute de son pouvoir d’achat, accepte la pérennité des systèmes actuels d’élevage et de transport des animaux vivants : la réglementation n’est pas durcie. Compte tenu du faible consentement à payer des consommateurs, l’aval de la filière importe des viandes à forte compétitivité-prix notamment en provenance d’Amérique du Sud grâce à un prix du fret au plus bas permis par la chute du prix du pétrole.

Dans ces conditions, la normalisation et la rémunération de la qualité de la viande ne sont pas la priorité d’une filière dont le marché s’effondre. En complément de la viande issue des élevages laitiers et d’un engraissement intensif de jeunes bovins à l’auge, la rémunération des services environnementaux rendus par l’élevage et la diver­sification des activités permettent le maintien résiduel d’exploitations extensives, respectueuses des contraintes environnementales. »

Scénario 3 : Montée en gamme sous fortes contraintes sanitaires et sociétales

« La situation économique et financière mondiale est stabilisée. Sous la contrainte de l’apparition de nouvelles maladies bovines liées au changement climatique, la demande mondiale en viande bovine augmente davantage en qualité qu’en quantité, notamment sous l’impulsion des pays émergents. Et ceux-ci privilégient la sécurité sanitaire pour une part significative de leurs importations. La réglementation des rapports « homme-animal » et la généralisation de l’obligation de respect du bien-être animal, en réduisant les itinéraires techniques de production possibles, s’avèrent in fine des atouts pour qu’émerge au plan international et dans les échanges la primauté de la vision France/UE sur la qualité tout au long de la chaîne. Ainsi, la restauration collective accroît sa part de viandes françaises dans ses approvisionnements.

L’innovation en matière de préparation et de transformation des morceaux traditionnellement les moins demandés favorise l’accroissement de leur demande, ainsi qu’une amélioration de la rémunération globale de la carcasse. En matière de génétique, les avancées permettent d’améliorer la durabilité de la filière en répondant à une pluralité de demandes (accroissement de la productivité à l’herbe…) et la notion de bovins « optimisés » se diffuse et limite un recours important à une alimentation à base de concentrés. Avec ces innovations et avancées, l’élevage où l’herbe (sur pied et conservée) représente l’essentiel de la ration s’impose, ainsi que la qualité des produits issus de la filière, et les viandes « origine France » et de proximité deviennent un produit, certes cher, mais de « plaisir ». Le recul des soutiens publics aux services rendus par l’élevage herbager permet, dans un second temps, que se redéveloppent de manière limitée des élevages intensifs.

In fine, ce sont principalement les exploitations écologiquement intensives basées sur la valorisation de l’herbe, et ceux bénéficiant d’une proximité de sources de sous-produits alimentaires, qui parviennent à capter une part significative de la valeur ajoutée, les autres courant après le respect de normes de plus en plus contraignantes. »

Scénario 4 : Compétitivité (concentration & intensification à l’herbe) et différenciation dans un marché international freiné par le coût de l’énergie

« La situation économique et financière mondiale est stabilisée. L’accroissement démographique s’accompagne d’une augmentation de la demande en viande bovine, et cela malgré l’impact des promoteurs de la substitution des protéines animales par des protéines végétales perceptible dans certains pays développés. L’aug­mentation délibérée du prix des énergies fossiles dans un contexte de limitation volontaire des gaz à effet de serre freine les échanges internationaux. Les exportations françaises d’animaux vivants sont impactées d’autant plus que les nouvelles normes de bien-être animal compliquent leur transport sur longues distances. Grâce aux progrès génétiques, et soutenu par les politiques publiques environnementales, l’élevage allaitant basé sur l’utilisation intensive de l’herbe est de plus en plus compétitif. La filière française s’organise pour construire et rémunérer la qualité de la viande à l’instar de ce qu’elle a su faire pour garantir la sécurité sanitaire. L’offre se segmente et la part du premium, sous signe de qualité, français ou d’importation proche, s’étoffe, que ce soit pour les pièces, la viande hachée ou les plats préparés à base de viande. »

Scénario 5 : Filière organisée et innovante, avec une offre segmentée, dans un marché mondial porteur

« La situation économique et financière mondiale est stabilisée et la découverte de nouvelles ressources d’énergies fossiles, couplée au progrès technique, assure le maintien d’une énergie disponible et bon marché.

Dans ce contexte, à la faveur d’une convergence mondiale des régimes alimentaires entre populations aisées et plus modestes, la dynamique démographique génère une augmentation globale de la demande de viande bovine avec une croissance des échanges internationaux facilitée par un coût modéré du fret, et les alternatives végétales ou artificielles rencontrent peu de succès. Cette accélération des échanges induit la diffusion des épizooties, apparues avec le changement climatique, contre lesquelles la France (filière et Etat) se mobilise avec succès, imposant avec l’UE une vision de la qualité sanitaire tout au long de la chaîne de production.

Sous pression des attentes sociétales (climat, environnement, bien-être animal), cette démarche est transposée à la construction de la qualité collective dans la filière française de la viande bovine. La filière s’organise pour com­muniquer au consommateur des informations précises et détaillées sur la viande et son origine, quel que soit le circuit de distribution et le produit (viande spécialisée ou coproduit issu du troupeau laitier). Ainsi, l’offre française de viande bovine, segmentée et innovante, fidélise ses consommateurs et rémunère ses producteurs. »

BC

A télécharger :

Prospective filière viande bovine (synthèse)

Prospective filière viande bovine (tome 1)

Prospective filière viande bovine (tome 2)

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