La sécheresse qui frappe plusieurs pays de l’UE a conduit la Commission à annoncer des soutiens aux éleveurs. FNSEA, Coordination rurale et Confédération paysanne demandent au gouvernement français d’aller plus loin.
« Les agriculteurs pourront recevoir à l’avance les paiements directs et les paiements au titre du développement rural qui leur sont destinés, et ils disposeront d’une plus grande souplesse quant à l’exploitation des terres qui, en temps normal, ne seraient pas utilisées à des fins de production, afin de pouvoir nourrir leurs animaux », a annoncé, le 2 août, la Commission européenne. « Les sécheresses prolongées qui sévissent actuellement dans plusieurs pays de l’UE ont de graves conséquences sur la production des grandes cultures, ainsi que des aliments pour animaux, ce qui pourrait également avoir une incidence sur le bien-être de ces derniers. La réduction des stocks d’aliments pour animaux a en outre une incidence particulière sur les revenus des éleveurs de bétail, étant donné qu’ils seront confrontés à une augmentation de leurs coûts de production s’ils doivent affronter une pénurie de fourrage plus tard dans l’année. »
Plus précisément, « deux décisions ont été prises pour aider les agriculteurs à faire face aux sécheresses, en complément du soutien prévu dans le cadre de la législation relative à la PAC :
- Des avances plus élevées : les agriculteurs pourront recevoir jusqu’à 70 % de leurs paiements directs et 85 % des paiements au titre du développement rural dès la mi-octobre 2018 et ils ne devront donc pas attendre le mois de décembre pour redresser leur trésorerie.
- Les agriculteurs bénéficieront de dérogations à certaines exigences en matière de « verdissement », à savoir la diversification des cultures et les règles sur les surfaces d’intérêt écologique (SIE) en ce qui concerne les terres mises en jachère, ce qui leur permettra d’utiliser ces terres à des fins de production d’aliments pour animaux. L’adoption d’autres dérogations au « verdissement » est également envisagée, de façon à ce que les agriculteurs bénéficient d’une plus grande souplesse en ce qui concerne leur production fourragère. Ces mesures seront particulièrement profitables aux éleveurs de bétail. »
La FNSEA refuse les « semis administratifs »
« Toutes les productions sont impactées par la canicule, tant végétales qu’animales, et les agriculteurs agissent avec pragmatisme pour assurer dans les meilleures conditions possibles la poursuite de leur activité », souligne la FNSEA dans un communiqué du 3 août. « L’application des règlements doit aussi tenir compte de cette situation exceptionnelle. Le Commissaire Phil Hogan a pris la mesure de la détresse des agriculteurs et propose d’utiliser un certain nombre d’instruments, dont des paiements PAC anticipés plus élevés (70 %), des dérogations aux exigences du verdissement et des aides d’État. »
« La sécheresse et les prévisions météo ne permettent pas d’envisager un travail du sol, ni de réaliser des semis dans de bonnes conditions avant plusieurs jours. Ceci conduit les agriculteurs soit à se mettre dans l’illégalité vis-à-vis des obligations du verdissement, soit à réaliser un semis « administratif » en pure perte. En effet, la période de présence obligatoire pour les intercultures SIE démarre le 30 juillet ou le 6 août dans de nombreux départements et le ministère de l’Agriculture n’a pour le moment proposé aucune solution, malgré les demandes répétées de la profession. Il en est de même pour les CIPAN (cultures intermédiaires pièges à nitrates). »
« Alors que le pragmatisme se veut au cœur de l’action du gouvernement, nous formulons deux demandes au ministre de l’Agriculture :
– annoncer au plus vite une dérogation à l’implantation des CIPAN et SIE sans préjudice sur le paiement vert ;
– reconduire l’ATR (avance de trésorerie remboursable) à hauteur de 90% des aides PAC en raison de la fragilité des situations économiques des exploitations », conclut la FNSEA.
La CR demande un « plan d’urgence exceptionnel »
Dans une lettre ouverte adressée le 3 août au ministre de l’agriculture, Stéphane Travert, la secrétaire générale de la Coordination rurale (CR), Véronique Le Floc’h, se « réjouit du tout récent feu vert de Bruxelles concernant les dérogations au verdissement et à la possible valorisation des jachères, dont nous attendons les modalités d’application concrètes de la part de vos services, sans oublier les nécessaires dérogations à l’implantation des CIPAN (programme d’action de la directive nitrates). Toutefois, nous demandons l’exemption totale de semis et non pas celle de levée du couvert. Obliger les agriculteurs à engager des dépenses de semences et de façons culturales pour ne pas obtenir de levée des graines implantées n’a aucun sens. L’état des sols est tel en matière de dureté et de déshydratation qu’imposer un semis dans de telles conditions serait une insulte au bon sens et au savoir-faire paysans. »
« Pour ce qui concerne l’impact de la sécheresse et de la chaleur sur le maïs, les conséquences vont être lourdes tant pour les producteurs de maïs grain que pour les éleveurs qui l’ensilent. Les parcelles ne pouvant être irriguées risquent de voir leur rendement chuter drastiquement. Avec une moisson médiocre et des prix incertains faisant suite à plusieurs campagnes très difficiles, l’inquiétude s’accroît encore parmi les producteurs de grains. Quant aux éleveurs, vu les prévisions de Météo France pour les prochaines semaines, la situation est particulièrement préoccupante. Nombreux sont ceux qui entament déjà leurs stocks hivernaux, ce qui les obligera à acheter des fourrages à l’extérieur, alors même que beaucoup, tant en conventionnel qu’en bio, font face à des trésoreries déjà très tendues. Le ralentissement de la décapitalisation du cheptel allaitant que l’on observait depuis le mois d’avril risque de reprendre par manque de fourrages. Il semblerait que dans certains abattoirs, depuis la semaine dernière, le prix des femelles ait déjà baissé de 6 à 8 ct du kg. La production laitière n’est pas épargnée : les moins bons rendements de céréales et la prévision d’une mauvaise saison d’ensilage de maïs risquent d’impacter fortement les élevages, qui devront diminuer leur cheptel et acheter des fourrages, ce qui impliquera une augmentation des coûts de production. »
La CR demande ainsi à Stéphane Travert « d’envisager la mise en œuvre d’un plan d’urgence exceptionnel pour atténuer les conséquences de cette période de sécheresse. Il conviendrait ainsi de prévoir :
• une dérogation exceptionnelle de non couverture automnale des sols pour l’impossibilité de semer les CIPAN ;
• des arrêtés préfectoraux de reconnaissance d’un cas de force majeure, invocables par les agriculteurs lors de leurs demandes de dérogation ;
• des arrêtés de reconnaissance de catastrophe naturelle dans les cas les plus graves comme pour les Hauts-de-France et le Grand Est ;
• des prises en charge par le fonds de calamités agricoles, en particulier pour les fourrages, comme certains départements l’envisagent déjà ;
• des opérations « maïs ensilage », le maïs n’étant pas récolté en grain mais en plante entière qui pourrait être mise à la disposition des éleveurs par les céréaliers ;
• la mobilisation financière des conseils départementaux et régionaux, par exemple pour l’organisation des opérations maïs ensilage ;
• le versement le plus précoce possible des aides de la PAC ;
• des dégrèvements de la TFNB (article 1398 du CGI), des remises gracieuses, voire une exonération totale dans les départements les plus touchés ;
• le report des annuités en fin de tableau, les intérêts étant pris en charge par l’État (aide de minimis) ;
• la réactivation des fonds d’allégement des charges (aide de minimis). »
« Dans l’hypothèse où la sécheresse devrait perdurer, avec un impact majeur sur l’économie agricole nationale, nous considérons qu’il serait alors du devoir de l’État d’envisager des aides directes exceptionnelles, en application des exceptions figurant à l’article 107 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), permettant de rendre compatibles les aides d’État avec le marché intérieur européen en cas de dommages causés par les calamités naturelles et en cas de perturbation grave de l’économie d’un État membre. Ainsi, l’État ne risquerait pas de verser des aides, ensuite jugées illégales par Bruxelles (aides d’État prohibées au-delà du plafond de minimis), et de se trouver dans l’obligation de les rembourser. »
« Enfin, il nous parait primordial de lancer un ambitieux plan de développement des capacités de stockage de l’eau (réserves), comme le conseille le GIEC lui-même, afin de pallier les conséquences de ces accidents climatiques qui se produisent régulièrement », demande encore la CR.
« La maison brûle et le ministère regarde ailleurs » (CP)
« La canicule et son corollaire, la sécheresse, qui sévissent en France, vont entraîner une année supplémentaire de graves problèmes d’affouragement pour les éleveurs et de développement pour certaines productions végétales, affirme la Confédération paysanne dans un communiqué du 7 août. L’Etat, dont LA préoccupation a été de démanteler le régime des calamités agricoles au profit du développement de l’assurance, n’a pas pris la mesure de l’intensité du phénomène et encore moins de son occurrence liée au réchauffement climatique. »
« Face à cela, la Confédération paysanne souhaite :
- la mise en place de cellules de crises départementales à l’initiative des préfets ;
- des dérogations aux règles européennes en matière d’utilisation des jachères, des surfaces d’intérêt écologique ;
- des adaptations des contrôles sur place à la situation climatique, en particulier en matière de présence de la ressource ligneuse ;
- le report de la partie intérêts des annuités en fin de tableau d’amortissement ;
- un contrôle de légalité accru sur ce qu’une partie de la profession appelle « opérations de solidarité ».
« Enfin, la Confédération paysanne affirme que l’Etat doit définir à qui il revient de prendre en charge le coût de la dérégulation climatique et user de toutes les possibilités que lui laisse l’Union européenne en matière de mesures structurelles, en particulier pour les financements des mesures environnementales et climatiques. »
BC
—————————————————— CE QUE PERMET DEJA LA PAC ——————————————————
« Dans le cadre des règles existantes en matière d’aides d’État dans le secteur agricole, des aides dont le montant peut aller jusqu’à 80 % des dommages causés par la sécheresse (ou jusqu’à 90 % dans les zones soumises à des contraintes naturelles) peuvent être fournies, à certaines conditions », rappelle la Commission.
L’achat de fourrage peut donner droit à une aide au titre de dommages matériels ou de perte de revenus.
L’indemnisation en compensation de dommages peut également être accordée sans obligation de notification à la Commission (il s’agit là de ce que l’on appelle des « aides de minimis »). Les États membres peuvent accorder des aides à hauteur de 15 000 euros maximum par agriculteur par périodes de trois ans.
En ce qui concerne le développement rural, la législation PAC en vigueur prévoit toute une série d’aides possibles :
- Lorsqu’un État membre considère la situation de sécheresse comme une « catastrophe naturelle », il peut fournir une aide allant jusqu’à 100 % pour la reconstitution du potentiel de production agricole endommagé par la sécheresse. Les fonds peuvent être utilisés pour réaliser des investissements, par exemple pour réensemencer des pâturages. Cette mesure peut être appliquée rétroactivement ;
- Les agriculteurs peuvent informer leurs autorités nationales respectives des circonstances exceptionnelles dont ils sont victimes, et leurs États membres peuvent les libérer de leurs engagements selon diverses modalités. Les agriculteurs pourront par exemple être autorisés à utiliser des bandes-tampons pour les fourrages ;
- Les États membres peuvent aider les agriculteurs avec des instruments de gestion des risques. Ils peuvent par exemple contribuer financièrement aux fonds de mutualisation pour verser une compensation financière aux agriculteurs concernés. Les agriculteurs qui subissent une perte de revenu supérieure à 30 % de leur revenu annuel moyen recevront aussi une compensation financière.
Les États membres ont la possibilité de modifier leur programme de développement rural une fois par an pour y intégrer l’une des mesures précitées », précise encore la Commission.
A lire également :
« Canicule : les précautions à prendre » (ministère de l’agriculture, 3 août 2018)