400 000 exploitations en 2035 ?

Le projet de loi d’orientation agricole a été voté en première lecture à l’Assemblée nationale le 28 mai.

Le projet de loi d’orientation pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture (PLOA) « constitue une partie de la réponse aux mobilisations récentes des agriculteurs, en leur offrant des perspectives claires dans le cadre de leurs projets et en simplifiant le déploiement, le développement et la sécurisation juridique des activités agricoles », explique le ministère de l’agriculture dans un communiqué. « Le texte a été enrichi par les députés avec l’examen de plus de 5 500 amendements qui a conduit à l’adoption d’une part notable d’amendements provenant d’initiatives des parlementaires appartenant à des groupes minoritaires et d’opposition. Certaines de ses dispositions ont été étendues ou précisées par le travail parlementaire. »

« La consécration du développement de l’agriculture comme étant d’intérêt général majeur (article 1er), se traduit notamment désormais par :

Des objectifs chiffrés :

– d’atteindre au moins 400 000 exploitations agricoles en 2035 (le recensement général agricole de 2020 en dénombrait 416 400 en France, dont 390 000 en métropole, ndlr) ;

– d’augmentation du nombre de personnes formées aux métiers de l’agriculture, de l’agroalimentaire, de vétérinaires et d’ingénieurs agronomes ;

– de renforcement de la promotion et de l’accès à la validation des acquis de l’expérience et sur les moyens des maisons familiales rurales.

La reconnaissance :

– de l’importance fondamentale du revenu agricole et de l’amélioration des conditions de travail ;

– du caractère stratégique de nos filières, en particulier dans le cadre de la lutte contre la décapitalisation de l’élevage en cohérence avec nos besoins alimentaires ;

– d’une trajectoire de développement de notre agriculture biologique, pour qu’elle atteigne 21 % des surfaces cultivées d’ici 2030, et celle des légumineuses de 10 % ;

– des singularités des territoires et de l’Outre-mer.

D’autres dispositions ont été précisées :

– le guichet unique « France Services Agriculture » est rendu plus simple d’accès pour les porteurs de projet et garantit à la fois le pluralisme et la neutralité indispensables pour conforter la légitimité du service de proximité qu’il propose ;

– l’objectif du diagnostic modulaire est de préparer les cessions et installations, et consolider leur viabilité économique, sociale, environnementale et climatique ;

– les ordonnances ont été remplacées par des écritures « en dur » dans la loi sur la révision de l’échelle des peines concernant certains délits non intentionnels, et sur la responsabilité des détenteurs de chiens de troupeaux qui permettront une mise en œuvre rapide de ces avancées très attendues par les agriculteurs. »

Le PLOA sera examiné en commission des affaires économiques à partir du 24 juin 2024 au Sénat, précise encore le ministère de l’agriculture.

BC

LES REACTIONS

Des « avancées », en en attendant d’autres (FNSEA)

« Alors que le texte d’origine était clairement insuffisant pour concrétiser nos demandes et répondre à nos ambitions pour l’agriculture française, nous avons souhaité que le projet de loi soit amendé afin d’en améliorer le contenu. Si le texte ne répond pas encore à toutes les attentes des agriculteurs, il comporte des avancées », écrivait la FNSEA dans un communiqué du 27 mai (la veille donc de l’adoption du texte en première lecture).

« Ainsi, la notion d’intérêt général majeur permettant de mieux protéger l’agriculture, avec sa traduction dans le code pénal, comme la révision de l’échelle des peines, la rationalisation du diagnostic modulaire à l’installation, la création du droit à l’essai dans les sociétés… sont autant de sujets qui, sans la mobilisation de la FNSEA et de son réseau, seraient toujours au statu quo. Sur cette base, nous ne doutons pas de trouver un écho favorable à nos demandes auprès des sénateurs pour aller plus loin dans de nombreux domaines déjà discutés à l’Assemblée nationale (intégration de l’intérêt général majeur dans le code de l’environnement, simplification de la gestion des haies…), mais aussi sur toutes les questions sur lesquelles nos demandes n’ont pas encore été satisfaites : mesures de compétitivité pour les exploitations agricoles, mesures fiscales ou non fiscales pour répondre aux besoins de transmission ou de portage du foncier, définition de moyens budgétaires corrélés aux ambitions affichées en matière d’enseignement et de formation… »

« La FNSEA appelle les députés à voter pour cette loi, certes imparfaite, mais nécessaire pour relever le défi de la souveraineté alimentaire, du renouvellement des générations en agriculture et d’une production agricole toujours plus durable dans le contexte de changement climatique. Ce vote doit marquer une étape supplémentaire dans la phase de concrétisations de nos demandes. Il posera la première pierre dans la construction législative actant la considération nouvelle qui doit être portée à l’agriculture suite au ras-le-bol exprimé en ce début d’année. Les agriculteurs et l’agriculture ne doivent pas être les otages de considérations politiques. »

« D’autre part, la FNSEA reste vigilante et mobilisée sur les autres textes annoncés par le Gouvernement : projets de lois de finances et de financement de la Sécurité sociale, projet de loi sur les produits phytosanitaires, projet de loi Egalim 4, projet de loi simplification, proposition de loi relative aux baux agrivoltaïques et au partage de la valeur. Ces textes devront permettre d’apporter les réponses nécessaires à la concrétisation des acquis syndicaux de ce début d’année. »

« Assurer le renouvellement en agriculture » (JA)

« Jeunes Agriculteurs réitère son souhait que cette loi aille jusqu’au bout. Des améliorations seront les bienvenues lors de la poursuite des travaux mais les équilibres trouvés en hémicycle de l’Assemblée méritent selon nous une validation demain », écrit JA dans un communiqué du 27 mai. « Nous appelons donc tous les députés à voter la loi pour assurer le renouvellement en agriculture Cette loi reste la concrétisation de mois de travail et de consultations menées durant 2023 dans le cadre du pacte d’orientation et d’avenir agricole, et apporte des mesures en faveur du renouvellement des générations en agriculture concrètes tel le guichet unique France Service Agriculture. »

« Ce texte apporte les premières pierres d’une réponse attendue par le monde agricole sur la simplification, en réponse aux mouvements de ce début d’année, mais nous rappelons que pour Jeunes Agriculteurs ce texte n’a pas pour objectif principal de répondre aux revendications des mobilisations, mais bien de proposer une réforme ambitieuse des politiques d’orientation, de formation, d’installation et de transmission. Si nous ne prenons pas nos responsabilités pour approuver ce texte et ses solutions pour le renouvellement en agriculture, nous prendrons des années de retards irréversibles. »

« Les outils présents dans ce texte posent des bases qui nous permettront de répondre aux enjeux de notre agriculture de demain pour adapter au mieux les pratiques face aux défis climatiques, économiques et sociaux, tout en maintenant une activité agricole souveraine. Un équilibre juste entre tous les impératifs auxquels nous allons devoir faire face. »

Un « texte qui renforce la trajectoire agro-industrielle » (Confédération paysanne)

« A l’ouverture des débats, la Confédération paysanne et la Fadear (1) avaient dénoncé ce texte qui renforce la trajectoire agro-industrielle de l’agriculture, responsable de la diminution du nombre de paysan∙nes, de la disparition des fermes et de la destruction de la biodiversité et de la dégradation de notre environnement », fait valoir un communiqué du 27 mai.

« Cette trajectoire a malheureusement été confortée lors des débats en séance publique : aucune orientation sur les leviers essentiels que sont le revenu et le foncier, suppression dans le code rural des objectifs de surfaces en bio et légumineuses, refus d’évolution de la gouvernance et du respect du pluralisme au sein du monde agricole et de ses instances représentatives, mesures pour favoriser le triptyque robotique, génétique (dont OGM), numérique et une agriculture sans paysan∙nes. Toutes ces décisions ne permettront pas d’accompagner la transition agro-environnementale de l’agriculture. »

« La Confédération paysanne et la Fadear dénoncent l’ensemble des dispositions qui affaiblissent la préservation de l’environnement et ne permettent pas de relever les défis face au changement climatique. Nous dénonçons également la volonté du gouvernement de toujours dévoyer la notion de souveraineté alimentaire et de cultiver l’ambiguïté avec la souveraineté agricole et énergétique. Sur le terrain, c’est pourtant bien la dangereuse mise en concurrence entre productions à vocation énergétique et alimentaire qui se joue. »

« Nous saluons malgré tout le travail réalisé au sein de l’Assemblée nationale pour maintenir au moins 400 000 exploitations et 500 000 chef.fes d’exploitation. Les député∙es ont aussi travaillé pour affirmer la nécessaire régulation du foncier, poser les jalons en vue d’une future loi foncière, renforcer les capacités d’action des Safer face aux démembrements de propriété et rejeter les GFA-investissements ou épargnants. C’était absolument nécessaire. Par ailleurs, nous nous félicitons de la reprise de nos propositions via mention explicite faite aux filières élevage et fruits et légume dans le cadre de la souveraineté alimentaire et serons vigilants pour que cette déclaration d’intention soit traduite en orientations concrètes (via le Plan stratégique national en particulier). »

« La Confédération paysanne et la Fadear considèrent toutefois que ces avancées sont absolument insuffisantes pour remplir les objectifs de renouvellement des générations et de réalisation de la souveraineté alimentaire visés par le projet de loi et pèsent peu face aux impacts face aux impacts négatifs de certaines mesures. C’est pourquoi nous appelons les député·es à rejeter ce texte et nous proposons aux sénateurs et sénatrice de modifier en profondeur le projet de loi. »

(1) Fédération association pour le développement de l’emploi agricole et rural

« Un énième plan social » (Modef)

« Cette loi ne fixe aucun objectif ! Ce texte est très insuffisant pour répondre au défi démographique auquel fait face la profession », regrettait le Modef dans un communiqué du 13 mai. « Pas une seule ligne pour que les viticulteurs et les paysans obtiennent un prix plancher rémunérateur ! Pas une seule ligne pour encadrer les marges abusives du marché. Rien pour faire face à l’inflation galopante qui touche l’ensemble des paysans et des vignerons (carburant, phytos, électricité …) ! »

« L’article 1 du projet de loi introduit la « souveraineté agricole et alimentaire ». Le gouvernement a travaillé à vider la notion de souveraineté alimentaire de son objet fondamental. Autrement dit, c’est la porte ouverte aux importations intra et extra-communautaires. »

« Pour le Modef, cette LOA est un énième plan social qui risque de faire disparaître 150 000 exploitations agricoles. Cette LOA va affaiblir durablement l’agriculture française et tuer l’agriculture familiale. Le Modef appelle tous les députés à rejeter cette loi ! »

« Cette LOA n’est pas négociable et doit être retirée. Nous revendiquons : des prix plancher rémunérateurs fixés et garantis par l’État par une modification de l’article L632-1 du code rural (loi des interprofessions), le retour des coefficients multiplicateurs, le retour des droits de plantation, une retraite à hauteur du Smic. »

« Un recul historique pour l’environnement » (Collectif Nourrir)

« Malgré de maigres avancées sur le volet installation-transmission, le texte reste largement insuffisant sur les volets souveraineté alimentaire, transition agroécologique, foncier et revenu, et marque des reculs historiques en matière de protection de l’environnement », écrit le Collectif Nourrir dans un communiqué du 27 mai. En conséquence, il « appelle les sénateurs à rectifier la trajectoire de toute urgence lors des débats à venir. La faiblesse du projet de loi démontre par ailleurs le besoin de textes complémentaires pour répondre efficacement aux crises agricole, alimentaire et environnementale auxquelles sont confrontés les paysans et les citoyens. »

« Le premier article du texte de loi pose une vision de la souveraineté alimentaire en contradiction avec la définition de l’Organisation des Nations Unies (ONU) et les attentes citoyennes et paysannes : des systèmes alimentaires locaux qui s’appuient sur une agriculture durable et résiliente. La réécriture de cet article, négociée entre la majorité et la droite, ne fait qu’entériner une vision productiviste, notamment en matière d’élevage, et exclut le développement de filières alimentaires ancrées dans les territoires. Dépendance accrue aux importations (d’engrais, de soja, de gaz), développement de filière dédiées aux exportations plutôt qu’aux besoins alimentaires locaux et au détriment de la souveraineté alimentaire des pays tiers, vulnérabilité face à l’instabilité des marchés internationaux, concurrence déloyale : cette vision encourage un système fragile et néfaste pour les agriculteurs en France et partout dans le monde. La tentative de suppression des objectifs de développement de surface en agriculture biologique et en protéines végétales est également un signal hautement négatif. Leur réintroduction plus loin dans le texte, sous la pression médiatique et de plusieurs députés, laisse planer le doute quant à la volonté réelle du gouvernement d’avoir des systèmes adaptés et résilients. D’autant plus quand, dans le même temps, est consacrée la notion d’intérêt général majeur pour l’agriculture, pouvant laisser supposer un caractère prioritaire sur l’environnement. »

« Les députés ont acté que France Services Agriculture (FSA), le nouveau dispositif d’accompagnement des agriculteurs proposé par le gouvernement, devra valoriser le principe de pluralisme des acteurs pour guider les futurs agriculteurs lors de leur installation. Les Chambres d’agriculture, à qui l’accueil des porteurs de projet et cédants est confié au sein du FSA, auront par ailleurs un devoir de neutralité. Il s’agit d’un premier levier de reconnaissance des organisations paysannes soutenant l’agroécologie qui accompagnent aujourd’hui un tiers des installations agricoles, malgré un appui insuffisant de la part des pouvoirs publics. Pour autant, le pluralisme et la neutralité risquent, sans garanties supplémentaires, d’être empêchés par le fonctionnement même des Chambres d’agriculture, en raison des règles de scrutin et de financement des organisations agricoles. Si l’inscription d’un objectif de nombre de fermes cibles (400 000 fermes et 500 000 exploitants) va dans le bon sens, le strict remplacement des départs par des installations ne suffira pas pour relever les enjeux de la transition agricole et alimentaire. Les députés ont également reconnu la nécessité de travailler sur des mesures foncières, toutefois renvoyées à une future loi. Une réforme de la régulation foncière est demandée depuis plus de 10 ans par la majorité des acteurs du monde agricole. Son absence de ce projet de loi constitue donc une carence majeure. »

« Alors que la transition écologique est une préoccupation majeure pour 85 % des agriculteurs, le texte approuve des reculs environnementaux alarmants. Il vient d’abord dépénaliser les atteintes aux espèces et espaces naturels protégés, qu’elles soient commises par des agriculteurs, des forestiers, des chasseurs ou des promoteurs d’énergie. Pour sanctionner l’atteinte, il faudra prouver l’intentionnalité de l’acte, une brèche juridique dangereuse allant aggraver la dégradation de la biodiversité sur le territoire. Le texte vient aussi accélérer les recours en cas de contentieux sur les méga-bassines et les projets d’industrialisation de l’élevage. Des mesures anachroniques et préjudiciables auxquelles s’ajoute l’affaiblissement de l’unique proposition de transition du gouvernement au sein du projet de loi. Le diagnostic d’évaluation de la viabilité environnementale des fermes sera en effet facultatif, sans conditionnalité pour les aides publiques et sans garantie de financement par l’État. Des choix qui marquent une régression considérable sur le plan environnemental, incompatible avec l’urgence climatique et l’effondrement de la biodiversité. »

 

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